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mal venus à sa hautaine indifférence. Doué d’une puissance d’abstraction à faire envie au plus exercé des hégéliens, il nie tout ce qui est. Ni les choses, ni les personnes n’ont à ses yeux la moindre réalité. La société, pour lui, n’existe plus. Il s’étonne seulement du bruit importun qui se fait encore à la surface de ce néant que traverse sa pensée. Le visage impassible de M. Proudhon répond avec une fidélité effrayante à cet esprit de négation qui possède son âme. On dirait que sa bouche n’a jamais souri, que son regard ne s’est jamais posé avec douceur sur aucune chose humaine. Dans sa morne physionomie, de même que dans ses livres, on ne découvre pas la trace d’un mouvement sympathique. Sa verve amère est toute de mépris et d’indignation. Il déverse le blâme et l’injure sur ceux-là même qui combattent à ses côtés. Il ne reconnait point d’alliés, ne cherche point de disciples. Il veut rester seul, en tête-à-tête avec un mathématicien invisible auquel il démontre une équation que la société ne peut ni ne veut comprendre.

On conçoit, sans le justifier, l’irritation extrême des représentans en voyant la contenance imperturbable et, si je puis m’exprimer ainsi, le flegme passionné avec lequel M. Proudhon expose ses doctrines. Il devient à peu près impossible désormais au philosophe du prolétariat de prendre la parole.

On peut donc considérer le socialisme actuel, sous ses formes diverses, comme réduit au silence dans l’Assemblée législative car on ne peut guère compter, après les trois écrivains-orateurs que je viens de nommer, ni les excentricités pittoresques de M. Caussidière, ce génie de carrefour, ce Démosthène des barricades, ni les exclamations pathétiques de M. Lagrange, ce chevalier sans peur de la démocratie.

Est-ce à dire que le socialisme soit vaincu ? Bien aveu-