Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/31

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XXIV.

Poure peindre aveuglé, qu’est-ce que tu tracasse
A ce petit pourtraict où tu perds ton latin,
Essayant d’esgaler de ton blanc argentin
Ou du vermeil, le lys & l’œillet de sa face ?

Ce fat est amoureux, & veut gaigner ma place :
II ny peint pour le front, la bouche & le tetin ;
Sors de là, mon amy, je suis un peu mutin :
Madame, excusez moy, car j’y ay bonne grace,

Ces coquins n’ont crayon à vos couleurs pareil,
Ny blanc si blanc que vous, ny vermeil si vermeil.
Tout ce qui est mortel s’imite, mais au reste

Les peinctres n’ont de quoy représenter les Dieux,
Mais j’ay desja choisi dans le threfor des Cieux
Un celeste crayon pour peindre le celeste.


XXV.

Que je foy donc le peinctre, il m’a quitté la place,
Rengainé son pinceau : je veux bien faire mieux
Qu’en un tableau mortel, qui bien tost sera vieux
Et qui en peu de temps se pourrit & s’efface ;

Je pein’ ce brave front, Empereur de ta face,
Tes levres de rubis, l’or de tes blonds cheveux,
L’incarnat de ta jouë & le feu de tes yeux,
Puis le succre du tout, le lustre de ta grace,

Je peins l’orgueil mignard qui pousse de ton sein
Les souspirs enfermez, l’yvoire de ta main.
Un peinctre ne peut plus : j’en sçay bien plus que luy,

Je fay ouir ta voix, & sentir ton haleine
Et ta douceur, & si on sçaura par ma peine
Que la lame, ou bien l'ame, est digne de l’estuy.