Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/30

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XXII.

Le peinctre qui voudroit animer un tableau
D’un Printemps bien feuri ou y feindre une glace
De cristal reluisant, ou l’azur & la face
Du Ciel, alors qu’il est plus serein & plus beau,

S’il vouloit faire naistre au bout de son pinceau
Le front de la Ciprine, ou retirer sa grace,
Ou l’astre qui des Cieux tient la premiere place,
Alors que son plein rond il refait de nouveau,

Qu’il imite, s’il peut, le front de ma Deesse,
Mais qu’il se garde bien que son arc ne le blesse.
S’il fait, Pycmalion, la mère de Cynire,

Qu’il voye prendre vie à ce qu’il aura peint,
Il fera par les maulx qu’il en aura contraint
Le tableau parricide & le pinceau maudire.

XXIII.

Si je pouvoy’ porter dedans le sein, Madame,
Avec mon amitié celle que j’ayme aussi,
Je ne me plongeroy’ au curieux soucy
Qui devore mes sens d’une amoureuse flamme.

Doncques pour arrester l’aiguillon qui m’entame,
Donnez moy ce pourtraict, où je puisse transy
Effacer vostre teint d’un désir endurci,
Devorant vos beautés de la faim de mon ame,

Mourir comme mourut Laodamie, allors
Que de son ami mort elle embrassa le corps,
De ses ardents regretz rechauffant cette glace,

Mourir, vous contemplant, de joye & de langueur.
J’ay bien dessus mon cœur portraicte vostre face
De la main de l’amour, mais vous avez mon cœur.