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VIII.

Ouy, mais ainsi qu’on voit en la guerre civile
Les débats les plus grands du faible & du vainqueur
De leur doubteux combat laisser tout le malheur
Au corps mort du pais, aux cendres d’une ville.

Je fuis le champ sanglant où la fureur hostile
Vomit le meurtre rouge, & la scytique horreur
Qui saccage le sang, richesse de mon cœur,
Et en se débattant font leur terre stérile.

Amour, Fortune, helas ! appaisez tant de traicts,
Et touchez dans la main d’une amiable paix :
Je fuis celuy pour qui vous faictes tant la guerre.

Assiste, Amour, tousjours à mon cruel tourment !
Fortune, appaise toy d’un heureux changement,
Ou vous n’aurez bientost ny dispute, ny terre.


IX.

Ce qui a esgalé aux cheveulx de la terre
Les tours & les chasteaux qui transpercent les cieux,
Ce qui a renversé les palais orgueilleux,
Les sceptres indomptez eslevez par la guerre,

Ce n’est pas l’ennemy qui un gros camp asserre,
Menace & vient de loin redouté, furieux :
Ce sont les citoyens, esmeuz, armés contr’eux,
Le bourgeois mutiné qui soy mesme s’enferre.

Tous mes autres haineux m’attaquans n’avoyent peu
Consommer mon espoir, comme sont peu à peu
Le débat de mes sens, mon courage inutile,

Mes souspirs eschauffez, mes desirs insolents,
Mes regrets impuissants, mes sanglots violents,
Qui font de ma raison une guerre civile.