Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XLVI.

Tremblant d’une fiebvre bourrelle
Je possoy’ la glace en froideur,
Puis une fournaise d’ardeur
Brusloit mon sang & ma moëlle.

L’amour premièrement me gelle,
M’oste l’espérance de peur,
Puis sa violente chaleur
D’espoir m’eschauffe la cervelle.

Je me pleignoy’ amerement
Des longueurs qui si longuement
Faisoyent me desplaire ma vie :

L’amour & mon mal’heur fatal
De ma fiebvre quarte guerie
Me firent entrer en chaud mal.


XLVII.

En fendant l’estomac de la Saulne argentine
Des avirons trenchantz, qui en mille morceaux
Faisoyent jaillir en l’air mille bluettes d’eaux,
Je tuoy’ dedans l’eau une flamme divine,

Mais j’estoy’ bien deçeu : je sen’ en ma poictrine
Doubler mes feux esmeus, mes playes & mes maulx,
Vivre, parmi les flots, les eternels flambeaux
Qui du ciel en mon sein esprirent leur racine.

Mille Nymphes des bois sortent leur chef d’argent
Sur les saulles feuilliez & suivent en nageant
De l’œil & de la voix, & mes cris, & mes rames.

Où fuis-tu, malheureux, où cerches-tu repos ?
Penses-tu bien que l’eau noye amour & les flammes ?
Venus fust nee en mer, & vit parmy les flotz.