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LXXXIV.

Ores qu’on voit le ciel en cent milles bouchons
Cracheter sur la terre une blanche dragee,
Et que du gris hyver la perruque chargee
Enfarine les champs de neige & de glaçons,

Je veux garder la chambre, & en mille façons
Meurtrir de coups plombez ma poictrine outragee,
Rendre de moy sans tort ma Diane vengee,
Crier mercy sans faute en ses tristes chansons.

La nuë face effort de se crever, si ay-je
Beaucoup plus de tormentz qu’elle de brins de neige,
Combien que quelquefois ma peine continue

Des yeux de ma beauté sente l'embrassement,
La neige aux chauds rayons du soleil diminue,
Aux feux de mes soleils j’empire mon torment.


LXXXV.

Desja la terre avoit avorté la verdure
Par les silions courbez, lorsqu’un fascheux hyver
Dissipe les beautéz, & à son arriver
S’accorde en s’opposant au vouloir de nature,

Car le froid envieux que le bled verd endure,
Et la neige qui veut en son sein le couver
S’oppose à son plaisir afin de le sauver,
Et pour, en le sauvant, luy donner nourriture.

Les espoirs de l’amour sont les bleds verdissàntz,
Le desdain, les courroux sont frimatz blanchissantz :
Comme du temps fascheux s’esclot un plus beau jour,

Soubz l’ombre du refus la grâce se reserve,
La beauté du printemps soubz le froid se conserve,
L’ire des amoureux est reprise d’amour.