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Dedans les rais d’une beauté !
Je l’espreuve & ne le puis croire,
Et le fiel que j’ay soif de boire
Desjà m’est experimenté.
O Deesse pour qui j’endure,
Comme voz beautés je mesure,
Mesurez ainsi mon torment,
Car la soufrance qui me tuë,
Pourveu qu’elle vous soit congneuë,
Ne me deplaist aucunement.
Non pas que je veille entreprendre
De mesurer ny de comprendre
Ny vos beautez ny mon soucy ;
Ces choses sont ainsi unies :
Si vos graces sont infinies,
Mon affliction l’est aussi.
Mon martire & vostre puissance,
Comme ayant pareille naissance,
Ont aussi un effet pareil,
Hors mis que c’est par vostre veuë
Que ma puissance dyminuë,
Et la vostre croist par vostre œil.
Si vostre œil m’est insurportable,
Si d’un seul regard il m’accable
D’ardeur, de pennes & d’ennuy,
Pour Dieu, empeschez le de luyre,
Mais non, laissez le plus tost nuire,
Car je ne puis vivre sans luy !
Vostre presence me devore,
Et vostre absence m’est encore
Cent fois plus fascheuse à soufrir :
Un seul de vos regards me tuë,
Je ne vis point sans vostre veuë,
Je ne vis doncq’ point sans mourir.