Page:Ahern - Les maladies mentales dans l'œuvre de Courteline, 1920.djvu/43

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menacer je ne sais qui, ruminer des heures entières… sans parler des moments où il saute du lit, en chemise, le revolver au poing, en criant : « Je brûle la figure au premier qui touche à ma femme !!! »… Il s’enferme dans les cabinets pendant des fois des deux ou trois heures, pour déclamer tout haut contre la société, hurler que l’univers entier a une araignée dans le plafond, une punaise dans le bois de lit, et un rat dans la contrebasse… Il voit des fous partout… Floche est arrêté par les agents parce qu’il fait de l’esclandre en pleine rue et qu’il débine la république. Il ne fait aucune violence à ceux qui l’arrêtent et il est amené devant le commissaire. Sa boutonnière est parée d’un large ruban rouge. Il explique au commissaire qu’il n’est pas décoré, mais qu’ayant la mémoire assez indocile, il doit lui mettre un licou et que ce ruban sert de pense-bête. Ce moyen nouveau et ingénieux est supérieur au mouchoir corné qui perd toute efficacité si l’on est affligé du rhume de cerveau, et à l’épingle sur la manche qui a le tort de nous signaler comme étourneau à la raillerie des imbéciles… En réponse au commissaire qui lui demande son âge, il dit : « Avez-vous idée d’un poète composant une tragédie dans un salon où un professeur de piano ferait des gammes du matin au soir ? Non, n’est-ce pas ? Eh bien ! ma mémoire est à l’image de ce poète : elle est logée en un cerveau où le génie fait trop de musique… En un temps où la raison se promenant gravement par les rues la tête en bas et les jambes en l’air, on en est venu, petit à petit, à ne plus distinguer nettement ce qui est le vrai de ce qui est le faux, puis à prendre le faux pour le vrai, l’ombre pour la lumière, le soleil pour la lune et le bon sens pour l’égarement. C’est ainsi que ma femme, qui est devenue folle au contact d’un air saturé de folie, tire des plans pour me faire fourrer à Charenton… Le cas de cette malheureuse, qui est à peu de chose près, celui de la foule tout entière, devait naturellement tenter l’esprit de logique et d’analyse d’un moraliste équilibré. Aussi