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L’ILLUSTRE MAURIN

serai mort avant ! — petite perte pour moi, bon débarras pour lui !… mais le nom de son père ne sera pas là-dedans.

Il désignait le chiffon de journal qui gisait sur la table.

Il se rassit et but une lampée, puis dit gravement :

— Je te rendrai ton garçon cette nuit ; mais je vais mieux faire. Attends-le ici, Maurin, crois-moi. J’irai te le chercher. Notre usine là-bas peut devenir une souricière terrible. D’un jour à l’autre on peut nous prendre.

« Et j’ai là des hommes qui sont décidés à se défendre, car, si on les prenait, ils ont, tu le devines, de vieux comptes à régler. Les deux que tu as arrêtés il y a quelque temps, tu m’en as privé, vu que je les avais embauchés la veille. Ils espéraient le moment de me rejoindre. Alors, tu comprends, il ne faut pas, si par un mauvais hasard il arrivait quelque chose cette nuit, qu’on te trouve là avec ton fils, Dieu garde ! Maintenant écoute. Tu emmèneras ton pitoua tout de suite ; mais, au contraire d’aujourd’hui, un moment peut venir, dans ta vie de braconnier, où mon usine te soit une bonne cachette, lorsque ça ne serait que pour dormir une seule nuit. Eh bien ! dans ma grotte, comme ici même, étant chez moi tu seras chez toi, Maurin, parce que tu as bon cœur… Il y a des riches qui sont des coquins mais il y a beaucoup de mendiants qui ne seraient pas des coquins s’ils étaient des riches. Toute l’affaire est d’arriver à la mort et on n’y arrive que vivants ! et pour vivre jusqu’à la mort naturelle il faut bien manger, — et « faire feu », et avoir sur sa tête une espèce de couvert… Té ! voici qu’il pleut à verse, tout en coup, et la montagnère souffle. Bon temps pour moi,