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L’ILLUSTRE MAURIN

ma jeunesse je n’avais pas ri ainsi ! et si à Secourgeon je pensais tout le temps, jusqu’à ma retraite j’en rirais !

— Tu auras une retraite ?

— Tout homme finit par là. À quelques-uns on la paye en argent, à tous en infirmités bien laides… Pour t’en revenir à mon histoire, il tomba un jour une grosse neige, et le lendemain matin, je trouvai près de ma maison, aux entours, des traces de pattes marquées qui n’étaient pas de ma chienne… « Ça, dis-je, ça doit être d’un loup. Les froids si durs font descendre les loups de la montagne. » Alors j’emprisonnai ma chienne dans une manière d’étable qui avait autrefois servi à un âne et qui fermait passablement. Et, la nuit, j’épiai — pourquoi j’ai toujours aimé savoir comment les bêtes sauvages elles se comportent. J’épiais, je guettais, gueïravi… Le loup vint. Il faisait un ciel tout clair où parpillottaient les étoiles et s’espandissait une grosse lune, large et luisante comme un chaudron neuf, mon ami… Le loup vint et je le vis. Il s’avança vers ma cabane, pas beaucoup vite, son museau pointu bien tendu en avant, flairant sa route dans l’air, les oreilles droites, espérant le bruit… Il s’arrêta et je regardai l’heure à ma montre, au clair de la lune, pensant qu’il avait son heure et que le lendemain, en me tenant à l’affût un peu avant son moment, je le pourrais tuer à mon aise. Alors, je commençai à entendre ma chienne qui ne disait rien mais qui grattait… Elle grattait la terre sous la porte et de temps en temps se plaignait. Mais elle ne jappait pas et ne hurlait pas. Elle n’avait pas peur du loup, mon homme, elle n’en avait pas peur, non ! elle le désirait au contraire,