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L’ILLUSTRE MAURIN

Pauvres pêcheurs, le cœur me tremble,
Comme fait la feuille du tremble,
Comme fait l’oiseau dans son nid,
Quand le tonnerre au ciel bruit.
Le pont où doit passer notre âme
Ressemble au cheveu d’une femme :
Dessous est un gouffre de feu,
Au-dessus est la barbe à Dieu.
Les deux mains vite il faut étendre,
En la baisant il faut la prendre ;
Et notre père, doux et bon,
Ne secouera pas le menton.
Tenons bien fort, quoi qu’il nous dise
(Sauf respect de la sainte Église),
Et forçons-le de se baisser,
S’il veut en enfer nous chasser !
Car dans l’éternelle géhenne,
Pour peu que sa barbe se prenne,
Il tirera tous les maudits
De l’enfer dans le Paradis…
Tel est, pour échapper aux flammes,
Le secret du salut des âmes ;
Tel est, pour entrer au saint lieu,
Le secret de la barbe à Dieu.

Comme il achevait, un coup de tonnerre ébranla le ciel.

— Le tambour des limaces ! dit joyeusement Mignotin.

Mais aussitôt le vieux, en se signant, s’avança tout au bord de la grotte d’où il semblait dominer toute la terre et toute la mer, et debout devant l’orage, il pria :

Sainte Barbe, la sainte fleur,
Tient la croix de Notre-Seigneur ;
Elle est debout sur la tourelle,
Et répond à Dieu qui l’appelle.
« Je reviendrai vers les élus
Lorsque vous ne tonnerez plus ;
Je tiens votre croix sur la terre,
Pour en détourner le tonnerre…
C’est pour cela que, nuit et jour,
Je suis en garde sur ma tour. »