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LES DRAMES DU NOUVEAU-MONDE

affamés. Leur présence embarrassa bientôt toute la famille ; on causa d’abord à mi-voix, ensuite tout bas, avec de longues pauses, puis enfin régna un silence de mort. Les étrangers ne s’inquiétèrent nullement de ce qui se passait autour d’eux ; ils étaient trop occupés à dévorer, et ne levèrent pas les yeux jusqu’à ce qu’ils eussent expédié la dernière miette. Quand on leur demanda si leur intention était de rester et de coucher dans l’hôtellerie, ils ne répondirent qu’en faisant eux-mêmes l’addition de leur repas sans oublier un poisson ni une pomme de terre.

Depuis minuit le vent avait sauté au nord, et l’atmosphère éclaircie était devenue glaciale : de telle façon qu’à leur entrée dans l’auberge leurs grands manteaux étaient raides comme du carton, et leurs barbes hérissées de givre.

Le Brigadier faisait bonne contenance de son mieux, mais on le voyait tantôt pâle, tantôt rouge, souvent absorbé dans des rêveries sans suite, et dissimulant mal une secrète inquiétude. Sa femme n’eût pas de peine à s’en apercevoir ; mais, gênée par la présence des deux inconnus, elle n’osa demander aucune explication.

Ils venaient d’achever leur déjeûner et le pa-