et certifieraient la vérité de ce que nous avançons.
Une horrible scène de massacre dont Natah-Otann avait été l’auteur avait surtout soulevé contre lui l’indignation générale.
Voici les faits :
Une famille américaine, composée du père, de la mère, de deux fils âgés d’une douzaine d’années, d’une petite fille de trois ou quatre ans et de cinq domestiques, avait quitté les États de l’ouest dans l’intention d’exploiter une concession qu’elle avait achetée dans le haut Missouri.
À l’époque où se passent les événements que nous rapportons, les pas des blancs foulaient bien rarement ces parages laissés entièrement au pouvoir des Indiens, qui les parcouraient dans tous les sens, et, avec quelques chasseurs et trappeurs métis et canadiens, étaient les seuls maîtres de ces vastes solitudes.
À leur départ des défrichements, leurs amis avaient averti les émigrants de se tenir sur leurs gardes ; on leur avait conseillé, même de ne pas s’aventurer en si petit nombre dans ces déserts, d’attendre d’autres émigrants, qui bientôt devaient se réunir pour se diriger du même côté, en leur faisant observer qu’une caravane de cinquante ou soixante individus déterminés en imposerait facilement aux Indiens, et passerait saine et sauve au milieu d’eux.
Le chef de cette famille américaine était un vieux soldat de la guerre de l’Indépendance, doué d’un courage de lion et d’un entêtement véritablement britannique ; il répondit froidement à ceux qui lui donnaient ces conseils, que ses domestiques et lui suffisaient amplement pour tenir tête à tous les Indiens des prairies, qu’ils avaient de bons rifles, des cœurs fermes, et qu’ils arriveraient à leur concession malgré tout.
Puis il fit ses préparatifs en homme qui, une fois sa résolution prise, n’admet pas de délais, et il partit au milieu des signes de désapprobation de ses amis, qui lui pronostiquaient des malheurs sans nombre.
Cependant les premiers jours se passèrent assez tranquillement ; rien ne vint corroborer les prédictions qui lui avaient été faites.
Les émigrants s’avançaient paisiblement à travers un paysage délicieux, sans qu’aucun indice révélât rapproche des Indiens, qui semblaient être devenus invisibles.
Les Américains sont les hommes qui passent le plus facilement de la plus extrême prudence à la confiance la plus folle et la plus téméraire. Cette fois encore ils ne se démentirent pas.
Lorsqu’ils virent que tout était tranquille autour d’eux, que nul obstacle ne se présentait sur leur passage, ils commencèrent à rire et à sa moquer des appréhensions de leurs amis ; peu à peu ils se relâchèrent de leur surveillance, négligèrent les précautions en usage dans les prairies, et en arrivèrent à désirer presque d’être attaqués par les Peaux-Rouges, afin de pouvoir leur faire sentir la force de leurs armes.
Les choses allèrent ainsi pendant près de deux mois ; les émigrants n’étaient plus éloignés que d’une dizaine ou d’une douzaine de journées de marches de leur concession, Sur laquelle ils comptaient bientôt arriver sains et saufs.
Ils ne songeaient plus aux Indiens ; si parfois ils en parlaient entre eux, le soir avant de se livrer au repos, c’était pour rire des terreurs ridicules de leurs amis, qui se figuraient qu’on ne pouvait faire un pas au désert, sans tomber dans une embuscade de Peaux-Rouges.
Un soir, à la suite d’une journée fatigante, les émigrants s’étaient couchés après avoir placé des sentinelles autour de leur campement, bien plus disons-le, par acquit de conscience et afin d’éloigner les bêtes fauves, que pour toute autre cause.
Les sentinelles, habituées à ne jamais être troublées, fatiguées des travaux de leur journée, avaient pendant quelques instants veillé, les yeux fixés sur les étoiles, puis, peu à peu, le sommeil avait appesanti leurs paupières, et elles s’étaient endormies.
Leur réveil devait être terrible.
Vers le milieu de la nuit, une cinquantaine de Pieds-Noirs, guidés par Natah-Otann, glissèrent comme des démons dans l’ombre, s’introduisirent, dans le camp en escaladant les retranchements, et avant que les Américains pussent saisir leurs armes ou seulement songer à se défendre, ils furent garrottés.
Alors il se passa une scène horrible, dont la plume est impuissante à retracer les effroyables péripéties.
Natah-Otann organisa le massacre, s’il est permis d’employer, une telle expression, avec un sang-froid et une cruauté sans exemple.
Le chef de la caravane et ses cinq domestiques furent attachés nus à des arbres, flagellés et martyrisés, tandis que, devant eux, les deux jeunes garçons étaient littéralement cuits tout vivants, à petit feu.
La mère, à demi folle de terreur, s’échappa emportant sa petite fille dans ses bras ; mais, après avoir couru assez longtemps, les forces lui manquèrent, et elle tomba privée de sentiment.
Les Indiens la rejoignirent ; la croyant morte, ils dédaignèrent de la scalper ; mais ils lui enlevèrent l’enfant qu’elle pressait sur sa poitrine avec une force herculéenne. Cette enfant fut rapportée à Natah-Otann.
« Que faut-il en faire ? lui demanda le guerrier qui la lui présentait.
— Au feu, » répondit-il laconiquement.
Le Pied-Noir se mit impassiblement en mesure d’exécuter l’ordre impitoyable qu’il avait reçu.
« Arrêtez ! s’écria le père d’une voix déchirante, ne tuez pas de cette horrible façon une innocente créature ; hélas ! n’est-ce pas assez des tortures atroces que vous nous infligez ? »
Le Pied-Noir s’arrêta indécis, en interrogeant son chef du regard.
Celui-ci réfléchissait.
« Attendez, dit-il en relevant la tête ; et s’adres-