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— Que voulez-vous dire, mon ami ?

— Suffit ! je m’entends, répondit le vieux chasseur en hochant la tête ; ne pensons actuellement qu’à nos préparatifs, nos amis les Peaux-Rouges ne tarderont pas à arriver, » ajouta-t-il avec un sourire railleur qui ne laissa pas que d’inquiéter le comte.

Mais l’impression causée par les paroles ambiguës du Canadien se dissipa promptement ; l’amour venait subitement d’entrer dans le cœur du jeune homme ; il ne songeait plus qu’à une seule chose, revoir celle que déjà il aimait de toutes les forces de son âme.

Chez un homme comme le comte de Beaulieu, doué d’une organisation de feu, tout sentiment devait nécessairement être poussé à l’extrême ; ce fut en cette circonstance ce qui arriva.

Je ne sais qui a dit que l’amour n’est autre chose qu’une folie temporaire ; cette appréciation, peut-être brutale, de ce que l’on est convenu d’appeler un des plus nobles sentiments de l’homme, est cependant d’une rigoureuse exactitude.

L’amour ne se commande ni ne s’évite ; on ne sait ni quand ni pourquoi il vient, ni quand ni pourquoi il s’en va ; quand il entre dans le cœur d’un homme, il y commande en maître, courbant sous sa volonté de fer les caractères les plus énergiques, et leur faisant commettre, selon les circonstances, de grandes lâchetés ou de grands actes d’héroïsme.

L’amour naît d’un mot, d’un geste, d’un regard, et à peine né, il devient subitement un géant.

Le comte devait à ses dépens en faire l’épreuve.

Une demi-heure à peine après le départ de Natah-Otann, le galop de plusieurs chevaux se fit entendre, et une troupe de cavaliers s’arrêta devant le calli.

Le comte de Beaulieu, Balle-Franche et Ivon sortirent du calli.

Natah-Otann attendait à la tête d’une soixantaine de guerriers d’élite, revêtus de leur grand costume et parfaitement armés.

« Partons ! dit-il.

— Quand vous voudrez, » répondit le comte.

Le chef fit un geste.

Trois magnifiques chevaux, superbement caparaçonnés à l’indienne, furent amenés, tenus en bride par des enfants.

Les blancs se mirent en selle, et toute la troupe s’ébranla dans la direction de la prairie.

Il était environ six heures du matin ; l’orage de la nuit avait entièrement balayé le ciel, qui était d’un bleu mat ; le soleil, complètement paru à l’horizon, répandait à profusion ses chauds rayons tamisés par les vapeurs acres et odoriférantes du sol ; l’atmosphère était d’une transparence inouïe ; un léger souffle de vent rafraîchissait l’air, et des troupes d’oiseaux brillant de mille couleurs voletaient çà et là en poussant des cris joyeux.

La troupe marchait gaiement à travers les hautes herbes de la plaine, soulevant la poussière autour d’elle et ondulant comme un long serpent dans les détours sans fin de la route.

L’endroit où la chasse devait avoir lieu était éloigné de dix lieues à peu près du village.

Dans le désert toutes les plaines se ressemblent : de hautes herbes au milieu desquelles disparaissent complètement les cavaliers, des buissons rabougris, et çà et là de hautes futaies dont les cimes imposantes s’élèvent à des hauteurs immenses.

Tel était le chemin que les Indiens devaient suivre jusqu’à l’endroit où se trouvaient les animaux qu’on allait chasser.

Dans les prairies de l’Arkansas et du haut Missouri, à l’époque où se passe cette histoire, les autruches étaient encore nombreuses, et leur chasse un des grands divertissements des Peaux-Rouges et des coureurs des bois.

Il est probable que les envahissements successifs des blancs et les défrichements immenses exécutés par le feu et la hache les ont contraintes maintenant à abandonner ce territoire et à se retirer dans les inabordables déserts des montagnes Rocheuses ou dans les sables du Far-West.

Nous dirons ici, sans aucune prétention scientifique, quelques mots sur cet animal singulier, encore fort peu connu en Europe.

L’autruche vit d’ordinaire en petites familles de huit à dix, disséminées sur le bord des marais, des étangs et des rivières ; elles se nourrissent d’herbes fraîches.

Fidèles au sol natal, elles ne quittent guère le voisinage de l’eau, et au mois de novembre elles vont déposer dans les endroits les plus sauvages de la plaine leurs œufs, au nombre de cinquante ou soixante, qui, la nuit seulement, sont couvés par les mâles et par les femelles, à tour de rôle, avec une touchante tendresse. L’incubation arrivée à son terme, l’oiseau casse avec son bec les œufs non fécondés, qui se couvrent aussitôt de mouches et d’insectes, nourriture des petits.

L’autruche des prairies de l’ouest diffère un peu du nandus des pampas de la Patagonie et de l’autruche africaine.

Sa taille est d’environ cinq pieds de haut sur quatre et demi de longueur, de l’estomac à l’extrémité de la queue ; son bec est fort pointu et mesure un peu plus de cinq pouces.

Un trait caractéristique des mœurs de l’autruche, c’est son extrême curiosité.

Dans les villages indiens, où elles vivent à l’état domestique, il n’est pas rare de les voir se faufiler au milieu des groupes de gens qui causent, et les regarder avec une attention soutenue.

Dans la plaine, cette curiosité leur est souvent funeste, par la raison qu’elle les pousse à venir sans hésiter reconnaître tout ce qui leur paraît étrange.

Voici à ce sujet une assez bonne histoire indienne, dont nous ne garantissons pas autrement l’authenticité :

Les jaguars sont très-friands de la chair de l’autruche ; malheureusement, quelque grande que soit leur légèreté, il leur est presque impossible de l’atteindre à la course ; mais les jaguars sont des animaux très-fins, ordinairement ce qu’ils ne peu-