Page:Aimard - Curumilla, 1860.djvu/132

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dont on vous enveloppait de toute part, j’ai oublié tout, jusqu’à cette pudeur innée chez les jeunes filles ; et rompant en visière à ce monde que j’abhorre et méprise parce qu’il vous rejette, je suis venue vous voir pour vous aimer, vous rendre plus doux les quelques jours qui peut-être vous restent encore à vivre ; car, pas plus que vous, je ne me fais illusion sur l’avenir, don Luis. Et lorsque l’heure fatale sera venue, lorsque l’ouragan se déchaînera sur votre tête, je serai là pour vous soutenir par ma présence, vous encourager par mon amour sans bornes, et mourir dans vos bras !

Il y a chez la femme qui aime réellement et que la passion domine une fascination magnétique si grande, une poésie si puissante, que l’homme le plus fortement trempé éprouve malgré lui une espèce de voluptueux vertige et sent tout à coup sa raison l’abandonner pour ne plus voir que l’amour qu’il inspire et dont il est fier.

— Mais vous avez pleuré, Angela, dit le comte, vos larmes coulent encore en ce moment !

— Oui, reprit-elle avec énergie, j’ai pleuré, je pleure encore. Eh ! ne devinez-vous pas pourquoi, don Luis ? C’est parce que je suis femme, après tout, que je suis faible et que, malgré toute ma volonté et tout mon amour, chez moi la nature rebelle est en lutte avec le cœur, et que, pour vous suivre, pour me donner à vous enfin, je méprise tout ce dont une femme doit, en toutes circonstances, se souvenir, astreinte qu’elle est aux misérables exigences d’une civilisation atrophiée, esclave de convenances stupides, et contrainte à cacher constamment ses sentiments pour jouer une comédie infâme. Voilà