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Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/129

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L’ÉCLAIREUR.

— Je ne soupçonnais pas que vous eussiez un motif aussi sérieux de presser votre voyage.

— Vous le voyez, plaignez-moi, don Miguel.

Toute cette conversation avait eu lieu entre les deux personnages avec une aisance charmante et une bonhomie parfaitement jouée de part et d’autre ; pourtant ni l’un ni l’autre n’étaient dupes : don Stefano, comme cela arrive souvent, avait commis l’énorme faute de vouloir être trop fin et de s’avancer au delà des bornes de la prudence, en cherchant à persuader son interlocuteur de la sincérité de ses paroles. Cette feinte sincérité avait éveillé la méfiance de don Miguel pour deux raisons : d’abord parce que, venant de Santa-Fé et se rendant à Monterey, don Stefano non-seulement n’était pas sur la route qu’il aurait dû suivre, mais encore il tournait complètement le dos à ces deux villes, erreur que son ignorance de la topographie du pays lui faisait commettre sans qu’il s’en doutât ; la seconde raison était aussi péremptoire : jamais un négociant quelconque n’aurait osé essayer, quelque graves que fussent les motifs d’un pareil voyage, de franchir seul le désert, à cause des Indios bravos, des pirates, des bêtes fauves et des mille autres dangers non moins grands auxquels il se serait exposé sans espoir possible de leur échapper.

Cependant don Miguel feignit d’admettre sans discussion les raisons que lui donnait son hôte, et ce fut de l’air le plus convaincu qu’il lui répondit :

— Malgré le vif désir que j’aurais eu à jouir plus longtemps de votre agréable société, je ne vous retiens plus, caballero ; je comprends combien il est urgent pour vous de vous hâter.

Don Stefano s’inclina avec un imperceptible sourire de triomphe.

— Enfin, ajouta don Miguel, je souhaite que vous réus-