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L’ÉCLAIREUR.

quelque chose d’inusité et de scandaleux ; au moment de faire profession, la jeune fille se ravisa et refusa net d’entrer en religion ; je me retirai, désespéré de ce contretemps. Le soir, une religieuse se présenta à mon hôtel et m’annonça que ma nièce, à la suite d’une scène fort vive avec la supérieure, avait été frappée d’une congestion cérébrale et était morte subitement. Cette nouvelle me causa une douleur inouïe ; toute la nuit je marchai dans ma chambre à coucher, déplorant ce nouveau et irréparable malheur qui accablait mon malheureux frère ; en y réfléchissant, un soupçon germa dans mon esprit ; cette mort me parut extraordinaire ; je redoutai un crime. Afin d’éclaircir mes soupçons, au point du jour j’accourus au couvent ; là, une nouvelle incroyable m’attendait : la communauté était bouleversée, l’effroi se montrait sur tous les visages ; pendant la nuit, une troupe d’hommes armés s’était introduite dans le couvent ; ma nièce avait été enlevée de son tombeau et emportée par ces hommes qui, en même temps, avaient emmené une jeune novice. Alors, convaincu que je ne m’étais pas trompé, qu’un crime avait été commis, je m’enfermai avec la supérieure dans sa cellule, et, à forces de menaces et de prières, je parvins à lui arracher la vérité ; mon horreur fut au comble en apprenant que mon infortunée nièce avait effectivement été enterrée toute vive. Une chose me restait à faire, un devoir à remplir ; découvrir ses traces, la retrouver afin de la ramener dans les bras de son père ; je n’hésitai pas : deux jours plus tard, j’étais parti. Voilà la vérité tout entière ; ma conduite a été répréhensible, coupable même ; mais, je le jure, elle n’a pas été criminelle.

Les assistants avaient écouté cette justification hasardée avec un silence glacial ; lorsque don Estevan se tut, pas un geste, pas un signe approbateur ne vint lui donner l’espoir d’avoir convaincu son auditoire.