Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
L’ÉCLAIREUR.

un pêle-mêle inextricable de piétons, de cavaliers, d’hommes, de femmes, d’Indiens et d’Indiennes, où les haillons, la soie et l’or se mêlaient de la façon la plus bizarre, au milieu des cris, des quolibets et des éclats de rire, enfin, comme la ville enchantée des Mille et une Nuits, Mexico, au coup de cloche de l’oracion, semblait s’être réveillée tout à coup d’un long sommeil séculaire, tant les visages respiraient la joie et semblaient heureux d’aspirer l’air à pleins poumons.

En ce moment, un sous-officier, facile à reconnaître au cep de vigne qu’il tenait à la main comme indice de son grade, déboucha de la calle San-Francisco et se mêla à la foule qui encombrait la plaza Mayor, marchant en se dandinant avec cet air narquois et gobe-mouche particulier aux militaires de tous les pays. Celui-ci était un jeune homme à la mine hautaine, au regard fier et à la fine moustache coquettement relevée. Après avoir fait deux ou trois fois le tour de la place, en agaçant les jeunes filles et coudoyant les hommes, il s’approcha, de l’air toujours en apparence aussi indifférent, d’une échoppe adossée contre un des portales, et dans laquelle un vieillard, au visage de fouine et au regard sournois, s’occupait à renfermer, dans un tiroir d’une méchante table, maculée d’un nombre innombrable de taches d’encre, du papier, des plumes, des enveloppes, de la poudre, enfin tous les ustensiles nécessaires au métier d’écrivain public, métier qu’exerçait, en effet, le petit vieillard, ainsi que l’indiquait une planche suspendue au-dessus de la porte de l’échoppe, et sur laquelle était écrit, en lettres blanches sur fond noir ; Juan-Bautista Leporello, Evangelista. Le sergent regarda pendant quelques secondés à travers les vitres, encombrées de spécimens d’écritures de toutes sortes ; puis, satisfait sans doute de ce qu’il voyait, il frappa trois coups à la porte avec son cep de vigne.