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Page:Aimard - La Fièvre d’or, 1860.djvu/93

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LA FIÈVRE D’OR.

rapés et s’étendirent sur le sol. Don Luis seul demeura éveillé.

La nuit était magnifique ; le ciel, d’un bleu profond, était moucheté d’une infinité d’étoiles qui scintillaient comme des clous de diamant ; la lune répandait à profusion sa lueur blafarde et fantastique ; l’atmosphère, d’une pureté et d’une transparence sans égale, laissait distinguer les accidents du paysage à une énorme distance. La brise du soir s’était levée et rafraîchissait délicieusement l’air ; la terre exhalait des parfums âcres et embaumés, les flots venaient avec de mystérieux murmures mourir amoureusement sur la plage, et dans les lointains indistincts de la plaine on voyait errer les silhouettes noires et indécises des coyotes qui rôdaient en hurlant lugubrement, attirés par les fumets des novillos.

Louis, séduit par cette splendide soirée et affaissé, malgré lui, par cette langueur des savanes qui abat les esprits les mieux trempés, se laissait aller doucement à une molle rêverie.

Il en était arrivé à cet état de somnolence intellectuelle qui n’est plus la veille sans être encore le sommeil ; il savourait délicieusement la fantasmagorie évoquée par son esprit, lorsqu’il fut brusquement arraché à cette sensation pleine de charmes énervants par une main qui se posa lourdement sur son épaule, tandis qu’une voix murmurait faiblement à son oreille ce seul mot :

— Prudence !

Louis, rappelé tout à coup au sentiment de sa position présente, ouvrit tout grand ses yeux à demi clos et se retourna vivement.