Page:Aimard - La Grande flibuste, 1862.djvu/304

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Pendant quelques temps encore les voyageurs demeurèrent silencieux, absorbés non-seulement par leurs pensées, mais encore en proie à cette mélancolie douce et rêveuse produite sur les natures nerveuses par ce calme solennel et cette harmonie saisissante du désert, dont il n’est donné à aucune plume humaine d’exprimer la majestueuse et sublime grandeur.

Les étoiles commençaient à pâlir dans le ciel, une ligne couleur d’opale se dessinait vaguement à l’horizon, les alligators pesants sortaient de la vase et se mettaient en quête de leur repas du matin, le hibou, perché sur les arbres de la rive, saluait le lever prochain du soleil, les coyotes filaient par bandes effarées sur la grève en poussant leurs rauques glapissements, les bêtes fauves regagnaient leurs tanières ignorées d’un pas hâtif et lourd de sommeil : le jour n’allait pas tarder à paraître. Doña Anita se pencha coquettement sur l’épaule de don Martial.

— Où allons-nous ainsi ? lui demanda-t-elle d’une voix douce et résignée.

— Nous fuyons, répondit-il laconiquement.

— Voilà six heures au moins que nous descendons ainsi le fleuve, portés par le courant et aidés par vos quatre pagaies vigoureusement manœuvrées ; ne sommes-nous donc pas hors d’atteinte ?

— Si, depuis longtemps ; ce n’est pas la crainte des Français qui me tourmente en ce moment…

— Qu’est-ce donc, alors ?

Le Tigrero lui montra d’un geste don Sylva, qui, à bout de force et de colère, avait enfin reconnu ta-