Page:Aimard - La Grande flibuste, 1862.djvu/307

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mordit au cœur. Il promena un instant son regard inquisiteur des deux hommes à la jeune fille et se leva, les sourcils froncés et la lèvre frémissante, sans prononcer une parole.

Le Tigrero fut gêné malgré lui par ce silence auquel il était loin de s’attendre. Après le service qu’il était censé avoir rendu à don Sylva, il fut contraint de prendre le premier la parole.

— Je suis heureux, dit-il d’une voix embarrassée, de m’être si à propos rencontré ici, don Sylva, puisque j’ai pu vous ravir aux mains des Peaux-Rouges !

— Je vous remercie, : señor don Martial, répondit sèchement l’haciendero ; je ne devais pas attendre moins de votre prud’hommie. Il était écrit, à ce qu’il parait, qu’après avoir sauvé la fille, vous deviez aussi sauver le père. Vous êtes destiné, je le vois, à être le libérateur de toute ma famille ; recevez mes sincères remercîments.

Ces paroles furent prononcées avec un accent railleur qui transperça le Tigrero comme une flèche ; il ne trouva pas un mot à répondre et s’inclina gauchement, afin de cacher son embarras.

— Mon père, dit doña Anita d’une voix caressante, don Martial a risqué sa vie pour nous.

— Ne l’en ai-je pas remercié, reprit-il. L’affaire a été chaude, à ce qu’il paraît ; mais les païens se sont sauvés bien vite ; n’ont-ils eu personne de tué ?

En disant cela, l’haciendero regarda avec affectation autour de lui.

Don Martial se redressa.

— Señor don Sylva de Torrès, fit-il d’une voix ferme, puisque le hasard nous a placés encore une