Page:Aimard - La Grande flibuste, 1862.djvu/82

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Bon Benito sentit son frissonnement redoubler.

Soudain la voix d’un sereno, s’élevant dans le silence, lui fournit le prétexte qu’il cherchait vainement, en criant en passant devant la locanda :

Ave Maria purissima ! Las onze han dado y lluve[1] !

Bien qu’accompagnéé de modulations capables de faire pleurer un matou, cette phrase sacramentelle du sereno ne produisit absolument aucune impression sur les pratiques de l’hôtelier.

La force de la terreur lui rendant enfin un peu de courage, le señor Sarzuela se décida à interpeller directement ces obstinés consommateurs ; à cet effet, il se campa délibérément au milieu de la salle, mit le poing sur la hanche, et relevant la tête :

— Señores caballeros ! dit-il d’une voix qu’il cherchait vainement à rendre ferme, mais dont il ne put parvenir à cacher le tremblement, il est onze heures ; les règlements de police me défendent de rester ouvert plus longtemps ; veuillez, je vous prie, vous retirer sans retard, afin que je ferme mon établissement.

Cette harangue, dont il s’était promis le plus grand succès, produisit un effet tout contraire à celui qu’il en attendait.

Les inconnus frappèrent vigoureusement sur la table avec leurs gobelets, en criant tous ensemble :

— À boire !

L’hôtelier fit un bond en arrière à cet effroyable vacarme.

— Cependant, caballeros, hasarda-t-il au bout

  1. Je vous salue, Marie très-pure, onze heures sont sonnées et il pleut.