Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je connais votre, amitié pour moi, Penni, notre enfance s’est écoulée côte à côte ; mais il y a bien longtemps de cela ; vous êtes aujourd’hui un des Caraskens, — grands chefs, — les plus renommés de votre nation, et moi je ne suis, comme jadis, qu’une pauvre femme.

— L’Églantine des Bois est ma sœur, ses moindres désirs seront toujours sacrés pour moi.

— Merci, Penni, mais laissons cette conversation, et causons de nos premières années, si vite passées, hélas !

— Hier n’existe plus, dit-il sentencieusement.

— C’est vrai, répondit-elle avec un soupir, pourquoi parler du temps qui ne peut revenir ?

— Ma sœur retourne à Chile ?

— Non, j’ai quitté Santiago provisoirement, je compte pendant quelque temps habiter Valdivia ; j’ai laissé mes amis continuer leur route et je me suis détournée pour saluer mon frère.

— Oui, je sais que celui que les faces pâles nomment le général Bustamente, à peine guéri d’une horrible blessure, s’est mis il y a un mois en route, et qu’il visite en ce moment la province de Valdivia. Je compte moi-même me rendre bientôt dans cette ville.

— Beaucoup de faces pâles du Sud s’y trouvent en ce moment.

— Parmi ces étrangers n’y en a-t-il pas quelques-uns que je connaisse ?

— Mon Dieu, je ne crois pas ; si, un seul, don Tadeo de Leon, mon mari.

Antinahuel leva la tête avec étonnement.

— Je le croyais fusillé, dit-il.

— Il l’a été.

— Eh bien ?

— Il est parvenu à se soustraire à la mort, quoique grièvement blessé.

La jeune femme cherchait à lire sur le visage impassible de l’Indien l’impression causée par la nouvelle qu’elle lui avait ainsi brusquement annoncée.

— Que ma sœur m’écoute, reprit-il au bout d’un instant, don Tadeo est toujours son ennemi, n’est-ce pas ?

— Plus que jamais.

— Bon.

— Non content de m’avoir lâchement abandonnée, de m’avoir ravi mon enfant, cette innocente créature qui seule me consolait et m’aidait à supporter les chagrins dont il m’a abreuvée, il a mis le comble à ses mauvais procédés envers moi en courtisant publiquement une autre femme qu’il traîne partout à sa suite et qui se trouve en ce moment à Valdivia avec lui.

— Ah ! fit le chef avec une certaine indifférence.

Habitué aux mœurs araucaniennes, qui permettent à chaque homme de prendre autant de femmes qu’il en peut nourrir, il trouvait l’action de don Tadeo toute naturelle.

Cette nuance n’échappa pas à dona Maria, un sourire ironique releva une seconde le coin de ses lèvres : elle continua négligemment, en regardant fixement le chef :