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toqui, mais les descendants de Cadegual se souviennent, ils sont forts, nombreux et puissants à leur tour, l’heure de la vengeance a sonné, ils ne la laisseront pas échapper. Ma sœur, fit-il avec un éclat de voix terrible, mon aïeul était le toqui Cadegual, merci de m’avoir averti que non seulement mon ennemi n’est pas mort, mais encore qu’il se trouve près de moi !


Le chef s’avança vers les voyageurs en abaissant sa lance en signe de paix.

— Votre mère l’a dit, Penni, pourquoi réveiller de vieilles haines ? la paix règne aujourd’hui entre les Chiliens et les Aucas, que mon frère prenne garde, les blancs sont nombreux, ils ont beaucoup de soldats aguerris.

— Oh ! reprit-il avec un regard sinistre, je suis sûr de réussir : nieucai ni amey malghon, j’ai ma nymphe.

Les Indiens d’un haut rang ont tous la ferme croyance qu’ils ont un génie familier contraint de leur obéir.

Dona Maria feignit de se rendre à cette raison.

Elle avait réussi à lancer le chasseur sur le gibier qu’elle voulait atteindre, peu lui importait le motif qui le faisait lui obéir.

Elle savait parfaitement que cette haine particulière, que le chef mettait en avant, n’était qu’un prétexte, et que la véritable cause restait enfouie au fond de son cœur. Bien qu’elle l’eût devinée, elle ne parut pas s’en douter.

Pendant longtemps encore elle causa de choses indifférentes avec Antinahuel, puis elle se retira dans une chambre qui avait été préparée pour elle.

Il était tard, dona Maria voulait au point du jour partir pour Valdivia.

Elle connaissait assez bien son ancien compagnon d’enfance pour savoir que maintenant que le tigre était éveillé, il ne tarderait pas à se mettre en quête de la proie qui lui était indiquée.

La nuit entière s’écoula sans que le toqui, plongé dans de profondes réflexions, songeât à prendre un instant de repos.



XX

LE MACHI — SORCIER


Le même jour, une tolderia située à cent vingt kilomètres d’Arauco, au milieu des montagnes, sur les bords du Carampague, était livrée à la plus grande agitation.

Les femmes et les guerriers, rassemblés devant la porte d’un toldo au seuil duquel un cadavre était exposé sur une espèce de lit de parade en branchages, poussaient des cris et des gémissements qui se mêlaient aux bruits assourdissants des tambours, des flûtes, aux accents lugubres et aux aboiements prolongés des chiens que tout ce tapage rendait furieux.

Au milieu de la foule, immobile aux côtés du cadavre, paraissant diriger la cérémonie, se trouvait un homme vieux déjà, de haute taille, revêtu