Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle doit donner au sorcier dans la tribu, influence, nous sommes obligé d’en convenir, dont il abuse sans le moindre scrupule dans toutes les circonstances.

De nouveaux personnages, au nombre desquelles se trouvaient Valentin Guillois et son ami, avaient fait leur entrée dans le village ; attirés par la curiosité, ils se mêlèrent aux groupes qui stationnaient devant le cadavre.

Les deux Français ne comprenaient rien à cette scène que leur guide leur expliqua brièvement, alors ils en suivirent les différentes phases avec le plus grand intérêt.

— Eh bien ! reprit l’Ulmen au bout d’un instant, mon père ne sait-il pas le nom de l’homme auquel nous devons demander compte du meurtre ?

— Je le sais, répondit le sorcier d’une voix sombre.

— Pourquoi donc le machi inspiré garde-t-il le silence lorsque le cadavre crie vengeance !

— Parce que, répondit le devin, en regardant cette fois bien en face le chef nouvellement arrivé, il y a des hommes puissants qui se rient de la justice humaine.

Les yeux de la foule se portèrent sur celui que le sorcier paraissait désigner indirectement.

— Le coupable ! s’écria l’Ulmen avec force, quel que soit son rang dans la tribu, n’échappera pas à ma juste vengeance ; parle sans crainte, devin, je te jure que celui dont tu prononceras le nom sera mis à mort !

Le machi se redressa, il leva lentement le bras, et au milieu de l’anxiété générale, il désigna du doigt le chef qui avait offert une si cordiale hospitalité aux étrangers, en disant d’une voix haute et vibrante :

— Accomplis donc ton serment, Ulmen, voici l’assassin de ton père ! Tangoil Lanec, — ravin profond, — lui a jeté le sort qui l’a tué.

Et le machi se voila la face avec un coin de son poncho, comme s’il avait été accablé de douleur par la révélation qu’il avait faite.

Aux terribles paroles du devin, un silence d’étonnement se fit dans le peuple.

Tangoil Lanec était le dernier de la tribu qu’on aurait osé soupçonner, il était aimé et vénéré de tous pour son courage, sa franchise et sa générosité.

Le premier moment de surprise passé, il s’opéra un grand mouvement dans la foule, chacun s’écarta du soi-disant meurtrier qui resta seul face à face avec celui dont on l’accusait d’avoir causé la mort.

Tangoil Lanec demeura impassible, un sourire de dédain glissa sur ses lèvres, il descendit de cheval et attendit.

L’Ulmen marcha lentement vers lui, et arrivé à quelques pas :

— Pourquoi as-tu tué mon père, Tangoil Lanec ? lui dit-il d’une voix triste, il t’aimait, et moi n’étais-je pas ton Penni ?

— Je n’ai pas tué ton père, Curumilla, — or noir, — répondit le chef, avec un accent de franchise qui aurait convaincu un homme moins prévenu que celui auquel il s’adressait.

— Le machi l’a dit.

— Il ment.