Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/12

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fortune, mais l’impossibilité de suivre cette femme, cause unique de tous tes malheurs ; Ose me soutenir le contraire !

— Eh bien, oui ! c’est vrai ! voilà la raison, la seule qui me tue ! que m’importe ma fortune ? c’est cette femme que je veux !… je l’aime !… je l’aime à soulever un monde pour l’obtenir ! s’écria le jeune homme avec une énergie fébrile ; oh ! si je pouvais espérer !… l’espoir, mot vide de sens, inventé par les ambitieux sans portée !… tu le vois ?… je n’ai plus qu’à mourir !

Valentin le considéra d’un œil triste. Soudain son regard s’éclaira ; il posa la main sur l’épaule du comte.

— Tu l’aimes donc bien, cette femme ? lui demanda-t-il.

— Tu le vois, puisque je meurs !

— Tu m’as dit, il n’y a qu’un instant, que pour la posséder tu soulèverais un monde ?

— Oui.

— Eh bien ! continua Valentin, en le regardant fixement, je puis te la faire retrouver, moi, cette femme !

— Toi ?

— Oui.

— Oh ! tu es fou ! elle est partie. Qui sait dans quelle région de l’Amérique elle s’est retirée !

— Qu’importe ?

— Et puis, je suis ruiné !

— Tant mieux !

— Valentin, prends garde à tes paroles ! s’écria le jeune homme avec un accent douloureux ; malgré moi, je me laisse aller à te croire !

— Espère ! te dis-je.

— Oh ! non ! non ! c’est impossible !

— Il n’y a rien d’impossible. Ce mot a été inventé par les impuissants et les lâches. Je te répète que, non seulement je te rendrai cette femme, mais encore, c’est elle, entends-tu bien, c’est elle alors qui craindra que tu ne méprises son amour !

– Oh !

— Qui sait ? peut-être le rejetteras-tu !…

— Valentin !

— Pour obtenir ce résultat, je ne te demande que deux ans.

— Si longtemps ?

— Oh ! que voilà bien les hommes ! s’écria le soldat avec un rire de pitié. Il n’y a qu’un instant, tu voulais mourir, parce que le mot jamais se dressait devant toi ! à présent tu ne te sens pas la force d’attendre deux ans ! quelques minutes de la vie humaine !

— Mais…

— Sois tranquille, frère ! sois tranquille ! si dans deux ans, je n’ai pas accompli ma promesse, moi-même je te rendrai tes pistolets, et alors…

— Alors !

— Tu ne te tueras pas seul, dit-il froidement.