Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/138

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La position devenait grave, l’heure d’agir ne pouvait tarder à sonner ; Antinahuel, dont toutes les mesures étaient prises de longue main, attendait impatiemment le moment de commencer la lutte.

Voici à quel point en étaient les choses le jour où dona Maria était venue à la tolderia des Serpents Noirs, visiter son ami d’enfance.

En s’éveillant, la Linda donna les ordres pour son départ.

— Ma sœur me quitte déjà ? lui dit Antinahuel d’un ton doux de reproche.

— Oui, reprit la jeune femme, mon frère sait qu’il me faut arriver le plus promptement possible à Valdivia.

Le chef n’insista pas pour la retenir, un sourire furtif éclaira son visage.

Lorsque dona Maria fut à cheval, elle se tourna vers le toqui :

— Mon frère ne m’a-t-il pas dit qu’il serait bientôt à Valdivia ? lui demanda-t-elle avec un ton d’indifférence parfaitement joué.

— J’y serai aussi tôt que ma sœur, répondit-il.

— Nous nous reverrons, alors ?

— Peut-être.

— Il le faut ! ceci fut dit d’un ton sec.

— Bon, reprit le chef au bout d’un instant, ma sœur peut partir, elle me reverra.

— Au revoir, dit-elle, et elle piqua des deux.

Elle disparut bientôt dans un nuage de poussière.

Le chef rentra pensif dans son toldo.

— Femme, dit-il à sa mère, je vais à la grande tolderia des visages pâles.

— J’ai tout entendu cette nuit, répondit tristement l’Indienne, mon fils a tort.

— Tort, pourquoi ? demanda-t-il avec violence.

— Mon fils est un grand chef, ma sœur le trompe et lui fait servir sa vengeance.

— Ou la mienne, dit-il d’un ton singulier.

— La jeune fille blanche a droit à la protection de mon fils.

— Je protégerai la rose sauvage.

— Mon fils oublie que celle dont il parle lui a sauvé la vie.

— Silence ! femme, s’écria-t-il avec colère.

L’Indienne se tut en poussant un soupir.

Le chef rassembla ses mosotones ; il choisit parmi eux une vingtaine de guerriers sur lesquels il pouvait particulièrement compter, et leur ordonna de se préparer à le suivre dans une heure, puis se laissa aller sur un siège et tomba dans de profondes réflexions. Tout à coup un grand bruit se fit entendre au dehors.

Antinahuel sortit sur le seuil du toldo.

Deux étrangers, montés sur de forts chevaux et précédés d’un Indien, s’avançaient vers lui.

Ces étrangers étaient Valentin et le comte de Prébois-Crancé ; ils avaient laissé leurs amis à quelques pas, en dehors de la tolderia.

Valentin, en quittant le village des Puelches, avait ouvert la lettre qui lui était adressée et que don Tadeo lui avait fait remettre par son majordome à la