Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/190

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solitaires ; les insurgés avaient refoulé les troupes dans l’intérieur, et, au dire des batteurs d’estrade, avec l’imprudence de bourgeois métamorphosés tout à coup en hommes de guerre, ils n’avaient pas laissé de réserve ni même placé des sentinelles pour assurer leurs derrières et se garantir d’une surprise.

Ces nouvelles, au lieu de rendre la sécurité au général, lui firent froncer les sourcils ; il pressentit un piège et, tandis que ses officiers faisaient des gorges chaudes à propos de la tactique savante des insurgés, il jugea nécessaire de redoubler de précautions.

Les troupes furent divisées en deux corps qui devaient au besoin se soutenir l’un l’autre ; et, comme on attaquait une ville entièrement barricadée, les lanceros eurent ordre de mettre pied à terre pour renforcer l’infanterie ; seulement un escadron d’une centaine de cavaliers resta en selle, caché à vingt-cinq mètres de la place, afin de soutenir la retraite ou de sabrer les fuyards si la reprise réussissait.

Ces dispositions prises, le général fit une chaleureuse allocution à ses soldats, auxquels il promit en cas de succès le sac de la ville, puis il se plaça en tête du premier détachement et donna l’ordre de marcher en avant.

Les troupes s’avancèrent alors à l’indienne, s’abritant derrière chaque pli de terrain et chaque arbre qui se trouvait devant eux.

Ils arrivèrent ainsi sans avoir donné l’éveil jusqu’à portée de pistolet de la place.

Le silence morne qui continuait à régner autour de lui, la tranquillité parfaite des alentours de la ville, contrastaient d’une façon lugubre avec la fusillade et le bruit de la canonnade qui se faisaient d’instants en instants plus intenses dans l’intérieur, et redoublaient les inquiétudes du général.

Un sombre pressentiment l’avertissait qu’il était menacé d’un grand danger, qu’il ne savait comment éviter, puisqu’il ignorait de quelle sorte il était.

Toute hésitation à ce moment suprême pouvait entraîner des malheurs irréparables.

Le général serra avec force la poignée de son épée dans sa main crispée, et se tournant vers ses soldats :

— En avant ! cria-t-il d’une voix retentissante.

Le détachement, qui n’attendait que cet ordre, se précipita en hurlant, et franchit au pas de course l’espace qui le séparait de la ville.

Fenêtres et portes, tout était fermé ; n’eût été le bruit lointain de la fusillade qu’on entendait au cœur de la ville, on l’aurait crue déserte.

Le premier détachement ne trouvant pas d’obstacles devant lui, continua sa route ; le second détachement, entra aussitôt.

Alors, tout à coup, devant, derrière et sur les flancs des deux troupes, un cri formidable éclata en même temps, et à chaque fenêtre parurent subitement des hommes armés de fusils.

Don Pancho Bustamente était entouré, il s’était laissé prendre, qu’on nous pardonne la trivialité de cette comparaison, comme un rat dans une souricière.

Les soldats, une seconde étonnés, se remirent bientôt ; ils firent face en