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en faisait une obligation, à laquelle sa renommée et sa popularité étaient impuissantes à le soustraire.

Mais il espérait vaincre l’opposition des chefs ou leur répugnance à condescendre à ses volontés, grâce à son éloquence et à l’influence que, dans mainte circonstance, elle avait exercée sur l’esprit des Ulmènes, même les plus résolus à lui résister.

Les Araucans cultivent avec succès l’art de la parole qui, chez eux, mène aux honneurs publics.

Ils s’efforcent de bien parler leur langue et d’en conserver la pureté, en se gardant surtout d’y introduire des mots étrangers. Ils poussent cela si loin que lorsqu’un blanc s’établit parmi eux, ils l’obligent à quitter son nom pour en prendre un de leur pays.

Le style de leurs discours est figuré et allégorique. Ils nomment coyagtucan le style des harangues parlementaires ; il est à remarquer que ces discours contiennent toutes les parties essentielles de la vraie rhétorique, et sont presque toujours partagés en trois points.

Les quelques mots que nous venons de dire suffisent pour prouver que les Araucans ne sont pas aussi sauvages qu’on se plaît à le supposer.

Bref, un petit peuple qui, sans alliés, isolé à l’extrémité du continent, qui, depuis le débarquement des Espagnols sur ses plages, c’est-à-dire depuis trois cents ans, a constamment résisté seul aux armées européennes composées de soldats aguerris et d’aventuriers avides que nulles difficultés ne semblaient devoir arrêter, et qui a conservé intactes son indépendance et sa nationalité, est à notre avis respectable à tous égards, et ne doit pas être impunément flétri du nom de barbare : triste, méprisable vengeance de ces Espagnols orgueilleux et impuissants, qui n’ont jamais pu les vaincre et dont les fils dégénérés lui payent aujourd’hui tribut, sous l’apparence menteuse d’une offrande annuelle.

Nous qui, jeté par le hasard de nos courses aventureuses parmi ces tribus indomptables, avons vécu de longs jours avec elles, nous avons été à même de juger sainement ce peuple méconnu. Nous avons pu apprécier tout ce qu’il y a de réellement simple, grand et généreux dans son caractère.

Terminant ici cette digression un peu longue, tribut de reconnaissance payé à d’anciens amis bien chers, nous reprendrons notre récit.

Antinahuel et le Cerf Noir étaient réunis.

Ils mirent pied à terre et se mêlèrent aux groupes des Ulmènes.

Les chefs, qui causaient paisiblement entre eux, se turent à leur arrivée et, pendant quelques minutes, le plus grand silence plana sur l’assemblée.

Enfin Cathicara, le toqui du Piré-Mapus, fit quelques pas vers le centre du cercle et prit la parole.

Cathicara était un vieillard de soixante-dix ans, à la démarche majestueuse et aux traits imposants.

Guerrier renommé dans sa jeunesse, maintenant que les hivers avaient courbé son front et argenté sa longue chevelure, il jouissait à juste titre dans la nation d’une grande réputation de sagesse.

Descendant d’une vieille race d’Ulmènes continuellement opposée aux