Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/254

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modeste, croisa les bras sur sa poitrine et attendit impassiblement qu’on l’interrogeât.

— Mon frère appartient à la vaillante tribu des Serpents-Noirs ? lui demanda don Tadeo.

Le guerrier fit de La tête un signe affirmatif.

Don Tadeo connaissait les Indiens, il avait longtemps habité parmi eux, il savait qu’ils ne parlent que dans le cas d’une nécessité absolue ; ce mutisme ne l’étonna donc pas.

— Comment se nomme mon frère ? reprit-il.

L’Indien releva fièrement le front.

— Joan, dit-il, en souvenir d’un guerrier des visages pâles qui se nommait ainsi et que j’ai tué dans une malocca.

— Bon ! reprit don Tadeo avec un sourire triste, mon frère est un chef renommé dans sa tribu.

Joan sourit avec orgueil.

— Mon frère vient de son village, sans doute ; il a des affaires à traiter avec les visages pâles, et il me demande que je fasse la justice égale entre lui et ceux avec lesquels il a traité ?

— Mon père se trompe, répondit l’Indien d’une voix brève, Joan n’est pas un Huiliche, c’est un guerrier Puelche, mon père le sait ; Joan ne réclame le secours de personne : quand il est insulté, sa lance le venge.

Don Gregorio et Louis suivaient avec curiosité cet entretien auquel ils ne comprenaient pas un mot, car ils ne devinaient pas encore où don Tadeo en voulait venir.

— Que mon frère m’excuse, fit-il ; il doit néanmoins avoir une raison pour se présenter à moi.

— J’en ai une, dit l’Indien.

— Que mon frère s’explique, alors.

— Je réponds aux questions de mon père, dit Joan en s’inclinant.

Les Araucans sont ainsi : quelque grave que soit la mission dont ils sont chargés, quand même un retard devrait causer la mort d’un homme, ils ne se résoudront jamais à parler clairement et à rendre compte de cette mission, à moins que celui qui les interroge ne parvienne, à force d’adresse, à les faire s’expliquer.

Certes, Joan ne demandait pas mieux que de tout dire, il avait fait une hâte extrême dans l’intention d’arriver plus tôt ; malgré cela, il ne se laissait tirer les paroles de la bouche que une à une et comme à regret.

Ce fait peut paraître extraordinaire et incompréhensible. Il est pourtant de la plus scrupuleuse exactitude. Nous en avons été nous-même témoin et victime nombre de fois, pendant le séjour légèrement forcé que nous avons fait en Araucanie.

Don Tadeo connaissait l’homme auquel il avait affaire.

Un pressentiment secret l’avertissait que cet homme était porteur d’une importante nouvelle. Il ne se rebuta pas et poursuivit ses questions :

— D’où vient mon frère ?

— De la tolderia de San-Miguel.