Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/270

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danger, et sans attendre l’accomplissement de la promesse qu’il m’a faite, je le laisserai libre d’en disposer comme bon lui semblera.

— Oh ! si ma sœur fait cela, s’écria Antinahuel ivre de joie, je serai son esclave !

Doña Maria sourit avec une expression indéfinissable, elle avait atteint son but.

— Je le ferai, dit-elle, seulement le temps presse, nous ne pouvons rester ici davantage, des devoirs impérieux nous réclament, mon frère l’oublie sans doute.

Antinahuel lui jeta un regard soupçonneux.

— Je n’oublie rien, dit-il ; l’ami de ma sœur sera délivré, dussé-je, pour obtenir ce résultat, faire tuer mille guerriers.

— Bon ! mon frère réussira.

— Seulement je ne partirai que lorsque la vierge aux yeux d’azur aura repris connaissance.

— Que mon frère se hâte donc de donner l’ordre du départ, car dans dix minutes cette frêle enfant sera dans l’état qu’il désire.

— Bien ! fit Antinahuel, dans dix minutes je serai ici.

Il sortit du cuarto d’un pas précipité.

Dès qu’elle fut seule, la Linda s’agenouilla devant la jeune fille, la délivra des cordes qui la serraient encore, lui lava le visage avec de l’eau fraîche, releva ses cheveux et banda avec soin la blessure qu’elle avait au front.

— Oh ! pensa-t-elle, par cette femme, je te tiens, démon, va ! agis comme bon te semblera, je suis toujours assurée maintenant de t’obliger à faire toutes mes volontés.

Elle souleva doucement la jeune fille, la plaça sur le fauteuil à dossier qui se trouvait dans le cuarto, répara tant bien que mal le désordre de la toilette de sa victime, et lui appuya sous les narines un flacon de sels d’une grande puissance.

Ces sels ne tardèrent pas à produire de l’effet : le râle cessa, la poitrine fut moins oppressée, la jeune fille poussa un profond soupir et ouvrit les yeux en jetant autour d’elle des regards languissants. Mais subitement son œil se fixa sur la femme qui lui prodiguait des soins, une nouvelle pâleur couvrit ses traits qui avaient repris une teinte rosée, elle ferma les yeux et fut sur le point de s’évanouir de nouveau.

La Linda haussa les épaules ; elle sortit un nouveau flacon de sa poitrine et, entr’ouvant la bouche de la pauvre enfant, elle versa sur les lèvres violacées quelques gouttes de cordial.

L’effet en fut prompt comme la foudre.

La jeune fille se redressa subitement et tourna la tête vers la Linda.

En ce moment Antinahuel rentra.

— Tout est près, dit-il, nous pouvons partir.

— Quand vous voudrez, répondit doña Maria.

Le chef regarda la jeune fille et sourit avec joie.

— J’ai tenu ma promesse, fit la Linda.

— Je tiendrai la mienne, dit-il.