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Cette réponse vaut un gros livre.

Mais revenons à notre sujet.

Le territoire chilien, et surtout la partie araucanienne, est un des plus accidentés et des plus bouleversés du Nouveau-Monde.

Le Chili possède vingt et quelques volcans, toujours en irruption, dont quelques-uns, tel que celui d’Autaco, atteignent une immense hauteur ; aussi, dans ce pays, les tremblements de terre sont-ils extrêmement fréquents.

Il ne se passe pas d’années sans qu’une ou plusieurs villes ne soient englouties par ce terrible fléau.

L’Aaraucanie, ainsi que nous l’avons dit, se divise en quatre contrées parfaitement distinctes.

Celle qui borde la mer, et que l’on nomme contrée maritime, est plate, mais cependant on sent incessamment sous ses pas ces ondulations de terrain qui vont s’exhaussant peu à peu jusqu’aux Cordillères et qui, dans certains endroits, sont déjà presque des montagnes.

À dix lieues environ de San —Miguel de la Frontera, misérable bourgade peuplée par quelques vingt ou trente pasteurs huiliches, sur la route d’Arauco, le terrain se soulève rapidement et forme subitement une imposante muraille de granit, dont le sommet est couvert de forêts vierges, de pins et de chênes, impénétrables aux rayons du soleil.

Un passage de dix mètres au plus de large est ouvert par la nature dans cette muraille. Sa longueur est de près de cinq kilomètres, il forme une foule de capricieux et inextricables détours qui semblent constamment revenir sur eux-mêmes. De chaque côté de ce formidable défilé, le sol couvert d’arbres et de halliers étagés les uns au-dessus des autres peut, en cas de besoin, offrir d’inexpugnables retranchements à ceux qui défendraient le passage ; aussi Antinahuel n’avait pas exagéré la force de cette position, en disant que cinq cents hommes résolus pouvaient hardiment s’y défendre contre toute une armée.

Cet endroit se nommait el cañon del Rio Seco, nom assez commun en Amérique, parce que, bien que la végétation eût depuis longtemps recouvert les parois de cette muraille d’un tapis d’émeraude, il était évident que dans des temps reculés, une rivière ou du moins un desaguadero, c’est-à-dire le conduit par lequel les eaux des plateaux supérieurs des Andes débordant, soit à la suite d’un tremblement de terre, soit à cause de tout autre cataclysme naturel, s’étaient violemment et naturellement frayé un passage vers la mer.

Du reste le sol, entièrement composé de cailloux arrondis et roulés par les eaux, ou de grandes masses de rochers éparses çà et là, usées et luisantes, en offrait aux yeux les moins clairvoyants des preuves irréfragables.

À quelle époque avait eu lieu ce bouleversement ? comment les eaux s’étaient-elles taries ensuite ? C’est ce que personne dans le pays n’aurait pu dire.

Depuis la plus haute antiquité, le lit de la rivière servait de passage, sans que jamais la rivière se fût révélée.

Le soleil commençait à apparaître à l’horizon, les objets étaient encore à demi voilés par les ombres de la nuit qui décroissaient rapidement en leur donnant les aspects les plus fantastiques ; le majestueux paysage, dont nous