Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Général, répondit-il avec hauteur, j’ai votre parole, ensuite il est une chose que vous ignorez.

— Quelle est cette chose que j’ignore, monsieur ?

— Celle-ci, général, c’est que je suis Français.

— Ce qui veut dire ?

— Que je n’ai jamais peur ; ainsi, veuillez passer, je vous prie, afin que je passe après vous, ou bien, si vous le préférez, cédez-moi votre place.

Le général le regarda avec étonnement, presque avec admiration, pendant une seconde ; par un mouvement spontané, il étendit le bras vers lui.

— Votre main, monsieur, lui dit-il, vous êtes un brave ; il ne tiendra pas à moi, je vous le jure, que vous ne vous en retourniez satisfait de notre entrevue.

— Cela vous regarde, monsieur, répondit le jeune homme en posant sa main blanche, fine et aristocratique, dans celle que lui tendait le général.

Les deux Indiens avaient attendu, impassibles, la fin de cette discussion.

Les Araucans sont bons juges en matière de courage ; pour eux cette qualité est la première de toutes, aussi ils l’honorent même dans un ennemi.

Les cinq personnages marchèrent silencieusement pendant quelques minutes à travers le camp, enfin ils arrivèrent devant une hutte, plus grande que les autres, à l’entrée de laquelle un faisceau de longues lances à banderoles écarlates, plantées en terre, montrait que c’était la hutte d’un chef.

Ils entrèrent.

Cette hutte était tout à fait privée de meubles, quelques crânes de bœufs épars çà et là servaient de sièges.

Dans un coin, sur un amas de feuilles sèches recouvertes de pellones et de ponchos, une femme était étendue la tête enveloppée de compresses.

Cette femme était la Linda.

Elle paraissait dormir. Pourtant, au bruit causé par l’entrée des chefs, son œil fauve étincela dans la demi-obscurité de la hutte et prouva qu’elle était bien éveillée.

Chacun s’assit tant bien que mal sur un crâne de bœuf.

Lorsque tous eurent pris place, le général parut se recueillir un instant, puis il leva les yeux sur le comte et lui dit d’une voix brève :

— Voyons, monsieur, à quelles conditions consentez-vous à vous rendre ?

— Pardon, monsieur, répondit le jeune homme, nous ne consentons à nous rendre à aucune condition ; ne déplaçons pas la question, s’il vous plaît : c’est au contraire vous qui avez des propositions à nous faire, ce qui est bien différent. J’attends qu’il vous plaise de les articuler.

Un profond silence suivit ces paroles.