Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/328

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Il avait quitté le rocher à six heures du soir. Il arrivait en vue de San-Miguel à trois heures du matin.

En neuf heures il avait parcouru plus de douze lieues par des chemins où les chèvres seules et les Indiens peuvent passer.

C’était vigoureusement marcher.

Quand il entra dans la tolderia, l’ombre et le silence régnaient partout, tous les habitants dormaient, quelques chiens errants hurlaient à la lune, c’était tout !

Joan était assez embarrassé, il ne savait comment trouver ceux auxquels il avait affaire, lorsque la porte d’une hutte s’ouvrit, et deux hommes, suivis d’un énorme chien de Terre-Neuve, parurent sur la route.

Dès que le chien aperçut l’Indien, il s’élança vers lui en aboyant avec fureur.

— Retenez votre chien, s’écria Joan en se mettant promptement en défense.

— Ici, César ! ici, monsieur, fit une voix.

Le chien obéit et revint en grognant tout bas se placer auprès de son maître.

Ces paroles avaient été prononcées en français, langue que naturellement Joan ignorait ; il se souvenait d’avoir vu à Valdivia, auprès des Français, un chien semblable à celui qui lui faisait un si formidable accueil, cela le porta à supposer que le hasard le mettait face à face avec ceux qu’il cherchait.

Joan était l’homme de résolution prompte, il prit son parti sans hésiter et cria d’une voix forte :

Marry-marry, êtes-vous le muruche, ami de Curumilla ?

— Gurumilla ! s’écria Trangoil Lanec en s’approchant, qui a prononcé ce nom ?

— Un homme qui vient de sa part, répondit Joan.

Le chef dirigea sur lui un œil soupçonneux, mais les ténèbres étaient si épaisses qu’il ne put que difficilement distinguer l’homme qui lui parlait.

— Approchez, lui dit-il, puisqu’il vous envoie vers nous, vous devez avoir certaines choses à nous rapporter ?

— Êtes-vous ceux que je cherche ? demanda Joan, hésitant à son tour.

— Oui, mais dans la hutte, à la clarté d’un candil, nous nous reconnaîtrons mieux qu’ici, où la nuit est plus noire que le cratère de l'antuco.

— C’est vrai, appuya Valentin en riant, il fait si noir que le diable marcherait sur sa queue.

Les trois hommes entrèrent dans la hutte, suivis par le terre-neuvien qui formait l’arrière-garde.

Sans perdre de temps, Trangoil Lanec sortit son méchero et battit le briquet, on alluma un candil et les trois interlocuteurs se virent.

Trangoil Lanec s’avança vers l’Indien.

— Bon, dit-il, je reconnais mon penny, c’est lui que déjà Curumilla avait envoyé à Valdivia.

— Oui, répondit Joan en montrant le chien qui s’était couché auprès de lui et lui léchait les mains, vous voyez que le chien m’a reconnu.