Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/338

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laissons à d’autres plus initiés dans les mystères du cœur humain, le soin de résoudre cette question ardue.

Le général et le sénateur regardèrent le jeune homme avec une curiosité sympathique, et don Pancho reprit au bout d’un instant :

— Avant toute autre question, permettez-moi, monsieur le comte, de vous demander comment il se fait que vous, personnellement, vous vous trouviez parmi les hommes que nous assiégeons ?

— Par la raison la plus simple, monsieur, répondit Louis avec un fin sourire : je voyage avec quelques amis et quelques domestiques ; hier le bruit d’un combat est arrivé jusqu’à nous ; je me suis informé naturellement de ce qui se passait ; sur ces entrefaites, plusieurs soldats espagnols, courant sur la crête des montagnes, se sont retranchés sur ce rocher où moi-même j’avais cherché un refuge, ne me souciant nullement de tomber entre les mains des vainqueurs, si ces vainqueurs étaient les Araucans, gens que l’on dit féroces, sans foi ni loi, que sais-je encore ? La bataille commencée dans le défilé a continué dans la plaine ; les soldats, n’écoutant que leur courage, ont tiré sur l’ennemi ; cette imprudence nous a été fatale, puisque voilà pourquoi vous nous avez découverts.

Le général et le sénateur savaient parfaitement à quoi s’en tenir sur la véracité de ce récit, auquel cependant, en gens du monde, ils eurent l’air d’ajouter la foi la plus entière ; d’ailleurs, il avait été débité avec une bonne humeur, un laisser-aller et un aplomb si réjouissants qu’ils l’avaient écouté en souriant.

Antinahuel et le Cerf Noir l’avaient pris au pied de la lettre.

— Ainsi, monsieur le comte, répondit le général, c’est vous qui êtes le chef de la garnison ?

— Oui, monsieur…

— Le général don Pancho Bustamente.

— Ah ! pardon, fit d’un air surpris le jeune homme, qui savait fort bien à qui il s’adressait, j’ignorais, général.

Don Pancho sourit avec orgueil.

— Et cette garnison est-elle nombreuse ? reprit-il.

— Hum ! assez, répondit légèrement le comte.

— Trente hommes, peut-être, fit le général d’un ton insinuant.

— Oui, à peu près, dit le comte avec aplomb.

Le général se leva.

— Comment, monsieur le comte, s’écria-t-il avec une feinte colère, c’est avec trente hommes que vous prétendez résister à cinq cents guerriers araucans qui vous entourent !

— Et pourquoi pas, monsieur ? répondit froidement le jeune homme.

En disant ces quelques mots, l’accent du Français fut si ferme, son œil lança un tel éclair, que les assistants tressaillirent d’admiration.

— Mais c’est de la folie ! reprit le général.

— Non, monsieur, c’est du courage, répondit le comte. Vive Dieu ! vous tous qui m’écoutez, vous êtes des hommes intrépides que mon langage ne peut étonner ; à ma place, vous agiriez de même !