Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/340

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— Voyons, monsieur le comte, dit le général d’un ton conciliant, tout ceci n’est qu’un malentendu ; la France n’est pas en guerre avec le Chili, que je sache !

— Je dois l’avouer, répondit Louis.

— Il me semble donc qu’il est plus facile de nous entendre que vous ne le supposez ?

— Ma foi, je vous dirai franchement que je suis venu en Amérique pour voyager et non pour me battre, et que si j’avais pu éviter ce qui est arrivé hier, je l’eusse fait de grand cœur.

— Eh bien ! rien n’est plus facile que de terminer le différend.

— Je ne demande pas mieux.

— Ni moi non plus, et vous, chef ? dit-il à Antinahuel.

— Bon, mon frère est le maître, ce qu’il fera sera bien fait.

— Très bien, reprit le général, voici quelles sont mes conditions : vous, monsieur le comte, et tous les Français qui vous accompagnent, vous serez libres de vous retirer où bon vous semblera ; mais les Chiliens et les Aucas, quels qu’ils soient, qui se trouvent dans votre troupe, nous seront immédiatement livrés.

La comte fronça le sourcil, se leva, et, après avoir salué les assistants avec la plus grande courtoisie, sortit résolument de la hutte.

Les quatre hommes se regardèrent un instant avec surprise, puis, par un mouvement spontané, ils s’élancèrent sur ses traces.

Le comte, d’un pas lent et tranquille, se dirigeait vers le rocher.

Le général le rejoignit à quelque distance des retranchements.

— Où allez-vous donc, monsieur ? lui dit-il, et pourquoi ce départ subit sans daigner nous répondre ?

Le jeune homme s’arrêta.

— Monsieur, dit-il d’une voix brève, après une telle proposition, toute réponse est inutile.

— Il me semble pourtant… objecta don Pancho.

— Fi, monsieur ! n’insistez pas, je vais rejoindre mes compagnons ; sachez bien ceci, c’est que tous les hommes qui sont avec moi se trouvent momentanément placés sous ma protection, ils suivront jusqu’au bout ma fortune comme je suivrai la leur : les abandonner serait commettre une lâcheté ; ces deux chefs aucas qui nous écoutent sont, j’en suis convaincu, des hommes de cœur, ils comprennent que je dois rompre toute négociation.

— Mon frère parle bien, dit Antinahuel ; mais des guerriers sont morts, il faut que le sang versé soit vengé.

— C’est juste, observa le jeune homme, aussi, je me retire, mon honneur me défend de rester plus longtemps ici et de prêter l’oreille à des propositions que je considère comme inacceptables.

Tout en parlant, le comte avait continué à marcher, et les cinq personnes étaient sorties du camp en quelque sorte sans s’en apercevoir, et ne se trouvaient plus qu’à une courte distance de la citadelle improvisée.

— Cependant, monsieur, observa le général, avant de refuser si péremptoirement, vous devriez au moins avertir vos compagnons.