Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/356

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vaste, dit Antinahuel en regardant don Pancho, mon frère le connaît sans doute ?

— Ma foi non, répondit insoucieusement le général, je l’ai vu ce matin pour la première fois ; c’est un de ces vagabonds étrangers que les vaisseaux d’Europe jettent sur nos côtes pour voler nos richesses.

— Non, ce jeune homme est un chef, il a le regard de l’aigle.

— Vous vous intéressez à lui ?

— Oui, comme on s’intéresse à un homme brave quand on l’a vu à l’œuvre, je serais heureux de le rencontrer une seconde fois.

— Malheureusement, dit le général avec un sourire ironique, ce n’est pas probable ; je crois que le pauvre diable a eu une si belle peur qu’il se hâtera de quitter le pays.

— Qui sait ? fit le chef d’un air pensif, et il ajouta : Que mon frère écoute, un toqui va parler, que ses paroles se gravent dans la mémoire de mon frère.

— J’écoute, répondit le général en réprimant un mouvement d’impatience.

Antinahuel reprit impassiblement :

— Pendant que ce jeune homme était ici, qu’il parlait, moi je l’examinais ; lorsqu’il croyait ne pas être vu de mon frère, il lui jetait des regards étranges ; cet homme est un ennemi implacable.

Le général haussa les épaules.

— Je ne le connais pas, vous dis-je, chef, répondit-il, et quand même il serait mon ennemi ? que m’importe ce vagabond ? jamais il ne pourra rien contre moi.

— Il ne faut jamais mépriser un ennemi, dit sentencieusement Antinahuel, les plus infimes sont souvent les plus dangereux à cause de leur petitesse même. Mais venons au sujet de notre réunion, quelles sont à présent les intentions de mon frère ?

— Écoutez-moi à votre tour, chef : nous sommes désormais attachés l’un à l’autre par l’intérêt commun ; sans moi vous ne pouvez rien ou presque rien ; de mon côté je confesse que sans vous, je suis dans l’impossibilité d’agir ; mais je suis convaincu que si nous nous aidons mutuellement et si nous nous soutenons franchement, nous obtiendrons en peu de jours de magnifiques résultats.

— Bon ! que mon frère explique sa pensée, dit Antinahuel.

— Je ne marchanderai pas avec vous, chef ; voici le traité que je vous propose : aidez-moi franchement à ressaisir le pouvoir qui m’est échappé, donnez-moi les moyens de me venger de mes ennemis et je vous abandonne à jamais, en toute propriété, non seulement la province de Valdivia tout entière, mais encore celle de Concepcion jusqu’à Talca, c’est-à-dire que je couperai en deux le Chili, et que je vous en donnerai la moitié.

À cette magnifique proposition, le visage de Antinahuel ne laissa paraître aucune trace d’émotion.

— Mon frère est généreux, dit-il, il donne ce qu’il n’a pas.

— C’est vrai, répondit le général avec dépit, mais je l’aurai si vous m’aidez, et sans moi, vous ne pourrez jamais l’avoir.