Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/4

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misérable agglomération de cabanes ruinées, coupée à angles droits par des rues obstruées de mauvaises herbes qui y poussent en liberté, et cachent des multitudes de fourmis, de reptiles, et même de lapins d’une petite espèce, qui partent sous les pieds des rares passants.

Le pueblo est borné à l’ouest par la Médina, mince filet d’eau presque à sec dans les grandes chaleurs, et à l’est par des collines boisées, dont le vert sombre tranche agréablement à l’horizon sur le bleu pâle du ciel.

Je m’étais chargé à Galveston d’une lettre pour un habitant de Castroville.

Le digne homme, dans ce village, vivait comme le rat de la Fontaine au fond de son fromage de Hollande. Charmé de l’arrivée d’un étranger, qui lui apprendrait sans doute des nouvelles, dont, depuis si longtemps, il était sevré, il m’avait reçu de la manière la plus cordiale, ne sachant qu’imaginer pour me retenir. Malheureusement, le peu que j’avais vu de Castroville avait suffi pour m’en dégoûter complètement, et je n’aspirais qu’à partir au plus vite.

Mon hôte, désespéré de voir toutes ses avances repoussées, consentit enfin à me laisser continuer ma route.

— Adieu donc ! puisque vous le voulez, me dit-il, en me serrant la main avec un soupir de regret ; Dieu vous aide ! vous avez tort de partir si tard ; le chemin que vous devez suivre est dangereux, les Indios Bravos sont levés, ils assassinent sans pitié les blancs qui tombent entre leurs mains ; prenez garde !

Je souris à cet avertissement, que je pris pour un dernier effort tenté par le brave homme.

— Bah ! lui répondis-je gaiement, les Indiens et moi sommes de trop vieilles connaissances, pour que j’aie rien à redouter de leur part.

Mon hôte secoua tristement la tête et rentra dans sa hutte, en me faisant un dernier signe d’adieu.

Je partis.

Il était effectivement assez tard. Je pressai mon cheval afin de passer, avant la nuit, un chaparral ou taillis, de plus de deux kilomètres de longueur, dont mon hôte m’avait surtout averti de me méfier.

Cet endroit mal famé avait un aspect sinistre. Le mezquite, l’acacia et le cactus formaient sa seule végétation. Çà et là, des os blanchis et des croix plantées en terre marquaient les places où des meurtres avaient été commis.

Au delà, s’étendait une vaste plaine, nommée la Léona, — la Lionne, — peuplée d’animaux de toutes sortes. Cette prairie, couverte d’une herbe d’au moins deux pieds de haut, était semée par intervalle de bouquets d’arbres, sur lesquels gazouillaient des milliers d’étourneaux à la gorge dorée, des cardinaux et des oiseaux bleus.

J’avais hâte d’être dans la Léona, que j’entrevoyais au loin ; mais il me fallait d’abord traverser le chaparral.

Après avoir visité mes armes avec soin, jeté un regard défiant autour de moi, comme je n’aperçus rien de positivement suspect aux environs, je piquai résolument mon cheval, déterminé, le cas échéant, à vendre ma vie le plus cher possible.

Cependant le soleil déclinait rapidement à l’horizon ; les feux rougeâtres