Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/400

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— Allons, bonne chance, surtout prenez garde d’être pris en traversant la ligne ennemie.

— Joan ne sera pas pris.

— Adieu donc, mon ami, dit le général en faisant un signe de congé à l'Indien et en entrant dans sa tente.

Joan profita de la permission qui lui était donnée pour quitter le camp sans retard.

La nuit était sombre, la lune cachée derrière d’épais nuages.

L’Indien ne se dirigeait qu’avec difficulté dans les ténèbres.

Souvent il était obligé de revenir sur ses pas et de faire de grands détours pour éviter des endroits qu’il supposait dangereux.

Il marcha ainsi en tâtonnant jusqu’au point du jour.

Aux premières lueurs de l’aube, il glissa comme un serpent dans les hautes herbes, leva la tête et frissonna malgré lui.

Dans les ténèbres, il avait donné juste dans un campement araucan.

Il s’était fourvoyé au milieu du détachement du Cerf Noir, qui était enfin parvenu à rallier sa troupe, et qui formait en ce moment l’arrière-garde de l’armée araucanienne, dont on apercevait à deux lieues au plus les feux de bivouac fumer à l’horizon.

Mais Joan n’était pas homme à se démoraliser facilement.

Il reconnut que les sentinelles ne l’avaient pas encore éventé, et ne désespéra pas de sortir sain et sauf du mauvais pas dans lequel il se trouvait.

Il ne se faisait pas d’illusions et ne se dissimulait nullement ce que sa position avait de critique ; mais comme il l’envisageait de sang-froid, il résolut de tout faire pour s’en tirer, et prit ses mesures en conséquence.

Après quelques secondes de réflexion, il rampa en sens inverse à la direction qu’il avait suivie jusque-là, s’arrêtant par intervalles pour prêter l'oreille.

Tout alla bien pendant quelques minutes.

Rien ne bougeait.

Un profond silence continuait à planer sur la campagne.

Joan respira.

Encore quelques pas et il était sauvé.

Malheureusement, en ce moment, le hasard amena en face de lui le Cerf Noir lui-même, qui en chef vigilant venait de faire une ronde et de visiter ses postes.

Le vice-toqui poussa son cheval de son côté.

— Mon frère est fatigué, car il y a longtemps qu’il glisse dans l’herbe comme une vipère, lui dit-il d’une voix ironique, il est temps qu’il change de position.

— C’est ce que je vais faire, répondit Joan sans s’étonner.

Et bondissant comme une panthère, il sauta sur la croupe du cheval en saisissant le chef à bras le corps, avant que celui-ci pût seulement soupçonner son intention.

— À moi ! cria le Cerf Noir d’une voix forte.

— Un mot de plus et tu es mort ! lui dit Joan d’un ton de menace.