Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caniennes, qui connaissait parfaitement le sort qui lui était réservé et qui était résolu à mourir bravement.

Il fut placé près de la hache, le visage tourné du côté des frontières chiliennes, afin qu’il éprouvât plus de regret en se reportant par la pensée dans sa patrie, qu’il ne devait plus revoir.

On le fit descendre de cheval et on lui mit dans la main un paquet de baguettes et un bâton pointu, avec lequel on l’obligea à creuser un fossé dans lequel, au fur et à mesure, il plantait l’une après l’autre les baguettes, en prononçant les noms des guerriers araucans qu’il avait tués dans le cours de sa longue carrière.

À chaque nom que prononçait le soldat en y ajoutant quelque épigramme à l’adresse de ses ennemis, les Aucas répondaient par des imprécations horribles.

Lorsque toutes les baguettes furent plantées, Antinahuel s’approcha :

— Le Huinca est un brave guerrier, dit-il ; qu’il recouvre cette fosse de terre afin que la gloire et la valeur dont il a fait preuve pendant sa vie, restent ensevelies à cette place.

— Soit, dit le soldat ; mais bientôt vous verrez à vos dépens que les Chiliens possèdent encore de plus valeureux soldats que moi !

Et il jeta insoucieusement de la terre dans la fosse.

Ceci terminé, le toqui lui fit signe de se placer auprès de la hache.

Le soldat obéit.

Antinahuel leva sa massue et lui fracassa le crâne.

Le malheureux tomba.

Il n’était pas complètement mort et se débattait convulsivement.

Deux machis se précipitèrent sur lui, ouvrirent sa poitrine et lui arrachèrent le cœur qu’ils présentèrent tout palpitant au toqui.

Celui-ci en suça le sang, puis il le donna aux Ulmènes qui, à tour de rôle, imitèrent son exemple.

Pendant ce temps, les guerriers se jetèrent sur le cadavre qu’ils dépecèrent en quelques minutes ; ils firent des flûtes avec ses os décharnés, se prirent par la main, et portant la tête du prisonnier au bout d’une pique, ils dansèrent en rond en entonnant une effroyable chanson qu’ils accompagnèrent du son de ces flûtes affreuses.

Les dernières scènes de ce drame barbare avaient enivré les Aucas d’une joie féroce ; ils tournoyaient et hurlaient en délire, paraissant avoir oublié le second prisonnier destiné, lui aussi, à subir le même sort.

Mais Joan avait l’œil et l’oreille au guet, malgré son maintien impassible ; au moment où l’épouvantable saturnale était à son apogée, il jugea l’instant propice, piqua son cheval et s’enfuit à toute bride à travers la plaine.

Il y eut quelques minutes d’un désordre indescriptible dont l’Indien profita habilement pour augmenter encore la vélocité de sa course ; mais les Aucas, revenus de la stupeur que leur avait causée cette détermination désespérée de leur prisonnier pour sauver sa vie, se précipitèrent à sa poursuite.

Joan fuyait toujours.