Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/417

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Cependant, ainsi que don Tadeo l’avait dit quelques moments auparavant à Valentin, la bataille était rudement engagée sur toute la ligne.

Les Araucans, avec leur ténacité que rien ne peut rebuter et leur mépris de la mort, se faisaient tuer sur les baïonnettes chiliennes, sans reculer d’un pouce.

Antinahuel, armé de sa massue qu’il maniait avec une légèreté et une dextérité inouïes, était en avant de ses guerriers qu’il animait du geste et de la voix. Les Aucas lui répondaient par des cris de rage en redoublant d’efforts pour rompre ces lignes maudites contre lesquelles ils s’épuisaient.

— Quels hommes ! ne put s’empêcher de dire le comte, quelle folle témérité !

— N’est-ce pas ? répondit don Tadeo, ce sont des démons ; mais attendez, ceci n’est rien encore, le combat ne fait que commencer, bientôt vous reconnaîtrez que ce sont de rudes champions.

— Vive Dieu ! s’écria Valentin, les hardis soldats ! ils se feront tous tuer, du train dont ils y vont !

— Tous ! fit don Tadeo, plutôt que de se rendre !

Cependant les Aucas s’acharnaient contre les faces du carré où se tenait le général en chef entouré de son état-major.

Là, le combat était changé en boucherie, les armes à feu étaient devenues inutiles, les baïonnettes, les haches, les sabres et les massues trouaient les poitrines et fracassaient les crânes.

Antinahuel regarda autour de lui.

Ses guerriers tombaient comme des épis mûrs sous les coups des Chiliens ; il fallait en finir avec cette forêt de baïonnettes qui leur barrait le passage.

— Aucas ! s’écria-t-il d’une voix de tonnerre, en avant pour la liberté !

D’un mouvement rapide comme la pensée, il enleva son cheval, le fit cabrer et le renversa sur les premiers rangs ennemis.

La brèche était ouverte par ce coup d’une audace extrême.

Les guerriers se précipitèrent à sa suite.

Alors, il se fit un carnage épouvantable.

C’était un tumulte impossible à décrire.

Chaque coup abattait un homme.

Les cris de fureur des combattants se mêlaient aux gémissements des blessés, aux décharges pressées de l’artillerie et de la mousqueterie.

Les Aucas s’étaient enfoncés comme un coin dans le carré et l’avaient rompu.

La bataille était désormais une de ces horribles mêlées que la plume est impuissante à rendre, lutte corps à corps, pied contre pied, poitrine contre poitrine, où celui qui glissait sur le sol inondé de sang, foulé aux pieds des combattants, n’avait plus qu’à mourir étouffé, broyé, mais cherchait encore, avec la pointe de son poignard ou de son épée, à labourer, avant de rendre le dernier soupir, les jambes ou les cuisses de ses ennemis encore debout.

— Eh bien ! demanda don Tadeo à Valentin, que pensez-vous de ces adversaires ?

— Ce sont plus que des hommes, répondit celui-ci.