Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/424

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Don Gregorio Peralta surtout se tordait les bras avec désespoir, la perte de l’homme auquel il s’était donné corps et âme le rendait fou !

Il ne voulait rien entendre.

Le général Fuentès fut obligé de prendre le commandement de l’armée.

Cinq cents guerriers araucans, la plupart blessés, étaient tombés entre les mains des vainqueurs.

Don Gregorio Peralta ordonna qu’ils fussent passés par les armes.

On chercha vainement à le faire revenir sur cette atroce détermination, qui pouvait dans l’avenir avoir des conséquences extrêmement funestes.

— Non, répondit-il durement, il faut que l’homme que nous chérissons tous soit vengé !

Et il les fit froidement fusiller devant lui.

L’armée campa sur le champ de bataille.

Valentin et son ami, accompagnés de don Gregorio, passèrent la nuit entière à parcourir cet immense charnier, sur lequel les vautours s’étaient abattus déjà avec de hideux cris de joie.

Les trois hommes eurent le courage de soulever des monceaux de cadavres.

Leurs recherches furent sans succès, ils ne purent retrouver le corps de leur ami.

Le lendemain au point du jour, l’armée se mit en marche dans la direction du Biobio pour rentrer au Chili.

Elle emmenait comme otage avec elle, une trentaine d’Ulmènes faits prisonniers dans les villes dont on s’était précédemment emparé, et qu’on avait livrées au pillage.

— Venez avec nous, dit tristement don Gregorio ; maintenant que notre malheureux ami est mort, vous n’avez plus rien à faire dans cet affreux pays.

— Je ne suis pas de votre avis, répondit Valentin, je ne crois pas don Tadeo mort, mais seulement prisonnier.

— Qui vous fait supposer cela ? s’écria don Gregorio dont l’œil étincela, avez-vous quelque preuve de ce que vous avancez ?

— Aucune malheureusement.

— Cependant vous avez une raison quelconque.

— Certes, j’en ai une.

— Dites-la alors, mon ami.

— C’est qu’en vérité elle vous paraîtra si futile…

— Dites-la-moi toujours.

— Eh bien ! puisque vous le voulez absolument, je vous avouerai que j’éprouve un pressentiment secret qui m’avertit que notre ami n’est pas mort, mais qu’il est au pouvoir d’Antinahuel.

— Sur quoi basez-vous cette supposition ? vous êtes un homme trop intelligent et un cœur trop dévoué pour chercher à plaisanter sur un pareil sujet.

— Vous me rendez justice. Voici ce qui m’engage à vous parler ainsi que je le fais : lorsque je fus parvenu à sortir du cercle d’ennemis qui nous enveloppaient, je m’aperçus de suite de l’absence de don Tadeo.