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Ils partirent.

À peine avaient-ils fait quelques pas qu’ils entendirent derrière eux le galop précipité d’un cheval.

Ils se retournèrent, don Gregorio revenait sur ses pas en leur faisant signe de l’attendre.

Ils s’arrêtèrent.

— Pardon, messieurs, leur dit-il dès qu’il fut près d’eux ; j’avais oublié de vous dire une chose : nous ne savons pas ce que Dieu nous réserve aux uns ou aux autres, peut-être aujourd’hui nous séparons-nous pour toujours.

— Nul ne le sait, fit Louis en hochant la tête.

— Dans quelque circonstance que vous vous trouviez, messieurs, souvenez-vous que tant que vivra Gregorio Peralta, vous aurez un ami qui sera heureux sur un de vos gestes de verser son sang pour vous, et croyez-le bien, de ma part une pareille offre est strictement vraie.

Et, sans attendre la réponse des jeunes gens, il leur serra les mains et s’éloigna à toute bride.

Les deux Français le suivirent un instant des yeux d’un air pensif, puis ils continuèrent leur route sans échanger une parole.




XXXIII

APRÈS LA BATAILLE.


Pendant quelque temps les jeunes gens suivirent de loin la marche de l’armée chilienne qui, retardée par ses nombreux blessés, n’avançait que lentement mais en bel ordre vers le Biobio.

Ils traversèrent au pas la plaine où la veille s’était livré un combat acharné entre les Indiens et les Chiliens.

Rien de si triste, de si lugubre et qui montre mieux le néant des choses humaines qu’un champ de bataille.

La plaine, que les boulets avaient labourée dans tous les sens, était jonchée de cadavres, tombant déjà en putréfaction à cause des rayons incandescents du soleil, et à demi dévorés par les vautours.

Aux places où la bataille avait été le plus acharnée, des cadavres amoncelés étaient mêlés à des corps de chevaux, des débris d’armes, d’affûts, de caissons ou de projectiles.

Indiens et Chiliens étaient là pêle-mêle, tels que la mort les avait surpris ; tous frappés par devant et serrant encore dans leurs mains raidies des armes désormais inutiles.

Au loin de sinistres silhouettes de loups se dessinaient vaguement, venant avec de sourds glapissements prendre leur part de la curée.

Les jeunes gens s’avançaient, jetant autour d’eux des regards attristés.