Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/428

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— Merci de m’y avoir fait songer ; oh ! tu es meilleur que moi ! tu n’oublies rien, toi !

— Ne te calomnie pas ; cette pensée te serait venue dans un instant peut-être.

Au bout de quelques minutes les jeunes gens arrivèrent à l’endroit où Joan et le général Bustamente étaient tombés.

Ils gisaient là couchés côte à côte, dormant du sommeil éternel.

Les Français mirent pied à terre.

Par un hasard singulier, ces deux cadavres n’avaient pas encore été profanés par les oiseaux de proie qui tournoyaient au-dessus d’eux, mais qui, à l’approche des jeunes gens, s’enfuirent à tire-d’aile.

Les deux frères de lait demeurèrent un instant pensifs.

Puis ils dégaînèrent leurs sabres et creusèrent une fosse profonde dans laquelle ils ensevelirent les deux ennemis.

Seulement Yalentin s’empara du poignard empoisonné de don Tadeo et le passa à sa ceinture, en murmurant à voix basse :

— Cette arme est bonne, qui sait si elle ne me servira pas un jour !

Lorsque les deux corps eurent été déposés dans la fosse, ils la comblèrent, puis ils roulèrent les pierres les plus grosses qu’ils purent trouver, sur la place qui renfermait les cadavres, afin que les bêtes fauves après leur départ ne les déterrassent pas avec leurs griffes.

Ceci fait, Valentin coupa deux hampes de lances dont il fit une croix, qu’il planta sur la tombe.

Ce dernier devoir accompli, les deux jeunes gens s’agenouillèrent et murmurèrent une courte prière pour le salut de ces hommes, qu’ils allaient abandonner pour toujours, et dont l’un avait été l’un de leurs plus dévoués amis.

— Adieu ! dit Valentin en se relevant, adieu ! Joan, dors en paix dans ce lieu où tu as vaillamment combattu ; ton souvenir ne s’effacera pas de mon cœur.

— Adieu ! Joan, dit à son tour le comte, dors en paix, notre ami, ta mort a été vengée !

César avait suivi avec une certaine attention intelligente les mouvements de ses maîtres ; en ce moment il plaça ses pattes de devant sur la tombe, flaira un instant le sol récemment remué, et à deux reprises, il poussa un lugubre hurlement.

Les jeunes gens se sentirent l’âme navrée de tristesse ; ils remontèrent silencieusement à cheval, et après avoir jeté un dernier regard d’adieu sur la place qui renfermait le brave Araucan, ils s’éloignèrent.

Derrière eux les vautours recommencèrent leur curée un instant interrompue.

Soit action des objets extérieurs, soit dispositions communes et mystérieuses, soit pour toute autre cause inconnue et qui échappe à l’analyse, il est des heures où je ne sais quelle contagion de tristesse nous gagne comme si nous la respirions dans l’air.

Les jeunes gens se trouvaient dans cette étrange disposition d’esprit en quittant le champ de bataille.