Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/430

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— Je le sais, fit l’Indien en hochant la tête, les Araucans sont vaincus, je les ai vus fuir comme une volée de cygnes effrayés dans les montagnes.

— Ils soutenaient une mauvaise cause, observa Curumilla.

— Ce sont nos frères, dit gravement Trangoil Lanec.

Curumilla courba la tête sous ce reproche.

— Celui qui leur avait mis les armes à la main est mort, reprit Valentin.

— Bon, et mon frère sait-il le nom du guerrier qui l’a tué ? demanda l’Ulmen.

— Je le sais, fit tristement Valentin.

— Que mon frère me dise ce nom, afin que je le garde dans mon souvenir.

— Joan, notre ami, a tué cet homme qui ne méritait pas de tomber sous les coups d’un si vaillant guerrier.

— C’est vrai ! dit Curumilla, mais pourquoi notre frère Joan n’est-il pas ici ?

— Mes frères ne verront plus Joan, dit Valentin d’une voix brisée, il est resté étendu mort à côté de sa victime.

Les deux chefs échangèrent un douloureux regard.

— C’était un noble cœur, murmurèrent-ils d’une voix basse et triste.

— Oui, reprit Valentin, et un ami fidèle.

Il y eut un silence.

Soudain les deux chefs se levèrent et se dirigèrent vers leurs chevaux sans prononcer une parole.

— Où vont nos frères ? demanda le comte en les arrêtant d’un geste.

— Donner la sépulture à un guerrier ; le corps de Joan ne doit pas devenir la proie des urubus, répondit gravement Trangoil Lanec.

— Que mes frères reprennent leur place, dit le jeune homme d’un ton de doux reproche.

Les chefs se rassirent silencieusement.

— Trangoil Lanec et Curumilla connaissent-ils donc si mal leurs frères les visages pâles, continua Louis, qu’ils leur font l’injure de supposer qu’ils laisseront sans sépulture le corps d’un ami ? Joan a été enseveli par nous avant de rejoindre nos frères.

— Ce devoir, que nous avions à cœur d’accomplir sans retard, nous a seul empêchés de nous rendre plus tôt ici.

— Bon ! fit Trangoil Lanec, nos cœurs sont pleins de joie, nos frères sont des amis véritables.

— Les Muruches ne sont pas des Huincas, observa Curumilla avec un éclair de haine dans le regard.

— Mais un grand malheur nous a frappés, continua Louis avec douleur, don Tadeo de Leon, notre ami le plus cher, celui que les Aucas nomment le Grand Aigle des visages pâles…

— Eh bien ? interrompit Curumilla.

— Il est mort ! dit Valentin, hier il a été tué pendant la bataille.

— Mon frère est-il certain de ce qu’il avance ? fit Trangoil Lanec.

— Du moins je le suppose, bien que son corps n’ait pu être retrouvé.

L’Ulmen sourit doucement.