Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/438

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Leurs principales tolderias avaient été incendiées par les Espagnols, leurs villes saccagées, les habitants tués ou emmenés prisonniers.

Ceux qui avait pu fuir avaient d’abord erré sans but dans les bois ; mais dès qu’ils avaient appris que le toqui était parvenu à s’échapper, ils s’étaient réunis et lui avaient expédié des envoyés, pour lui demander secours et l’obliger à se remettre à la tête d’une armée destinée à sauvegarder leurs frontières.

Antinahuel, heureux du mouvement de réaction qui s’opérait parmi ses compatriotes, en avait profité pour affermir son pouvoir chancelant depuis la défaite qu’il avait éprouvée.

Il avait changé son itinéraire et s’était, à la tête d’une centaine d’hommes seulement, rapproché du Biobio, tandis que par son ordre ses autres guerriers s’étaient dispersés sur tout le territoire pour appeler le peuple aux armes.

Le toqui ne prétendait plus comme autrefois étendre la domination araucanienne ; son seul désir était maintenant d’obtenir, les armes à la main, une paix qui ne fût pas trop désavantageuse pour ses compatriotes.

En un mot, il voulait réparer autant que possible les désastres causés par sa folle ambition.

Pour une raison que seul Antinahuel connaissait, don Tadeo et doña Rosario ignoraient complètement qu’ils se trouvaient aussi près l’un de l’autre ; la Linda était demeurée invisible, don Tadeo se croyait encore séparé de sa fille par une grande distance.

Antinahuel avait assis son camp au sommet de la montagne où quelques jours auparavant il se trouvait avec toute l’armée indienne, dans cette forte position qui commandait le gué du Biobio.

Seulement l’aspect de la frontière chilienne avait changé.

Une batterie de huit pièces de canon avait été élevée pour défendre le passage, et l’on apercevait distinctement de fortes patrouilles de lanceros qui parcouraient la rive et surveillaient avec soin les mouvements des Indiens.

Il était environ deux heures de l’après-midi. À part quelques sentinelles araucaniennes appuyées immobiles sur leurs longues lances en roseau, le camp semblait désert ; un silence profond régnait partout.

Les guerriers, accablés par la chaleur, s’étaient retirés sous l’ombre des arbres et des buissons pour faire la sieste.

Soudain un appel de trompette retentit sur le bord opposé du fleuve.

L’Ulmen chargé de la garde des avant-postes fit répondre par un appel semblable et sortit pour s’enquérir de la cause de ce bruit.

Trois cavaliers revêtus de riches uniformes se tenaient sur la rive ; près d’eux un trompette faisait flotter un drapeau parlementaire.

L’Ulmen arbora le même signe et s’avança dans l’eau au-devant des cavaliers, qui de leur côté avaient pris le gué.

Arrivés à moitié de la largeur du fleuve, les quatre cavaliers s’arrêtèrent d’un commun accord et se saluèrent courtoisement.

— Que veulent les chefs des faces pâles ? demanda l’Ulmen avec hauteur.

Un des cavaliers répondit aussitôt :