Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/448

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— Retirez-vous, madame !

— Ah ! c’est ainsi ! s’écria-t-elle d’une vois saccadée ; je vous implore, je me traîne pantelante de douleur à vos genoux, et vous me raillez ! prières et menaces sont également impuissantes sur vous ! rien ne peut toucher votre cœur de granit ! Démon à face humaine qui riez de la douleur d’une mère, croyez-vous donc être invulnérable et que je ne saurai pas trouver le défaut de la cuirasse ? Prends garde, don Tadeo, je te réserve une torture plus affreuse cent fois que celles que tu m’infliges ! Oh ! j’ai ma vengeance toute prête ! Si je le veux, dans un instant, toi, si altier, si fier, à ton tour, tu tomberas à mes pieds pour implorer ma pitié ! Prends garde, don Tadeo, prends garde !

Le Roi dés Ténèbres sourit avec dédain.

— Quel supplice plus terrible pouvez-vous m’infliger que celui de m’imposer votre présence ? dit-il.

— Insensé ! reprit-elle, qui joue avec moi comme un jaguar joue avec un lièvre ! fou, qui croit que je ne puis pas l’atteindre ! te figures-tu donc être seul entre mes mains ?

— Que voulez-vous dire ? s’écria don Tadeo en se levant vivement.

— Ah ! s’écria-t-elle avec une joie féroce, j’ai touché juste cette fois !

— Parlez ! parlez ! s’écria-t-il avec agitation.

— Et si cela ne me plaît pas ? répliqua-t-elle avec ironie ; si je veux, moi aussi, garder le silence ! ah ! ah ! ah !

Et elle éclata d’un rire strident.

— Mais non, reprit-elle avec sarcasme ; je ne suis pas méchante, moi. Viens, don Tadeo, je vais te montrer celle que tu cherches vainement depuis si longtemps, et que sans moi tu ne reverrais jamais ! Et je suis généreuse, ajouta-t-elle d’une voix railleuse, je te dispense même de m’être reconnaissant pour l’énorme service que je vais te rendre ! viens !

Elle sortit vivement de la hutte.

Don Tadeo se précipita sur ses pas, le cœur serré par un horrible pressentiment.




XXXVII

COUP DE FOUDRE.


Les Araucans disséminés dans le camp virent avec étonnement passer ces deux personnes qui semblaient en proie à la plus grande agitation.

Mais, avec l’insouciance et l’impassibilité qui les caractérisent, ils ne jugèrent pas à propos d’intervenir entre elles.

Doña Maria s’élança dans le toldo, suivie par don Tadeo.

Doña Rosario dormait étendue sur un lit de feuilles sèches recouvertes de peaux de mouton.