Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/45

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— Ne perdons point un instant ; partons ! dit don Gregorio .

— Où aller ? fit don Tadeo avec un sourire sardonique, ne suis-je pas légalement mort pour tous ? ma maison ne m’appartient plus.

— C’est vrai ! murmura le lieutenant des Cœurs Sombres ; eh bien ! qu’importe, demain la nouvelle de votre résurrection miraculeuse frappera nos ennemis comme un coup de foudre ! leur réveil sera terrible ! ils apprendront avec stupeur que l’athlète invincible, qu’ils croyaient avoir abattu pour jamais à leurs pieds, est debout et prêt à recommencer la lutte.

— Et cette fois, j’en jure Dieu ! s’écria don Tadeo avec énergie, la chute seule du tyran la terminera !

— Mais vous avez raison ; nous ne pouvons rester plus longtemps ici. Venez chez moi ; provisoirement vous y serez en sûreté, à moins, ajouta-t-il avec un sourire, que vous ne préfériez demander un asile à dona Rosario ?

Don Tadeo, qui avait pris le bras de don Gregorio, s’arrêta soudain à cette question, dont son ami ne soupçonnait pas la portée terrible.

Un tremblement convulsif agita tous ses membres, une sueur froide inonda son visage.

— Oh ! s’écria-t-il avec désespoir, mon Dieu ! j’avais oublié !

Don Gregorio fut effrayé de l’état dans lequel il le voyait.

— Qu’avez-vous ? au nom du ciel ! lui demanda-t-il.

— Ce que j’ai ! répondit le chef d’une voix saccadée, cette femme, ce serpent, que nous n’avons pas écrasé…

— Eh bien ?

— Oh ! je me rappelle maintenant ! elle m’a fait une horrible menace !… mon Dieu ! mon Dieu !

— Expliquez-vous, mon ami, vous m’épouvantez.

— Par son ordre, dona Rosario a dû cette nuit même être enlevée !… qui sait si , furieuse de m’avoir vu échapper à ses assassins, cette femme ne l’a pas fait tuer !

« Oh ! cette femme !… reprit le blessé, et ne pouvoir agir, ne savoir comment déjouer cet épouvantable complot.

— Volons chez dona Rosario ! fit don Gregorio.

— Hélas ! vous le voyez, je suis blessé ; à peine puis-je me soutenir.

— Eh bien ! quand vous ne pourrez plus marcher je vous porterai ! dit résolument son ami.

— Merci, frère ! que Dieu nous soit en aide !

Et les deux hommes, appuyés l’un sur l’autre, s’élancèrent en toute hâte dans la direction de la demeure de celle qu’ils voulaient sauver.

Malgré sa volonté et son courage, don Tadeo sentit ses forces l’abandonner. Malgré tous ses efforts, il ne se soutenait qu’avec des difficultés extrêmes.

En ce moment, un bruit de chevaux se fit entendre à quelque distance. Des torches brillèrent et une troupe de cavaliers apparut dans l’éloignement.

— Oh ! oh ! fit don Gregorio, en s’arrêtant et cherchant à reconnaître quelles étaient les personnes qui survenaient, qui donc, au mépris des ordonnances de la police, ose courir les rues à cette heure de nuit ?