Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/468

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— Oui, car le temps presse, murmura Valentin les dents serrées en se mettant en selle.

On partit.

Les Européens auront peine à se figurer la patience employée par les Indiens lorsqu’ils suivent une piste. Le corps constamment courbé vers la terre, les yeux fixés sur le sol, pas une feuille, pas un brin d’herbe n’échappe à leur investigation. Ils détournent le cours des ruisseaux pour retrouver sur le sable des traces de pas, et reviennent souvent plusieurs milles en arrière lorsqu’ils se sont égarés sur une fausse piste ; car les Indiens, poursuivis ou non, ne manquent jamais de dissimuler autant que possible les traces de leur passage.

Cette fois les Araucans, qui avaient le plus grand intérêt à ne pas être suivis, avaient fait des prodiges d’adresse pour cacher leur piste. Quelle que fût l’expérience des guerriers indiens, souvent elle leur échappait. Ce n’était qu’à force de sagacité, par une espèce d’intuition, qu’après des recherches inouïes et des efforts surhumains, ils parvenaient à la retrouver et à renouer ce fil qui, à chaque pas, se rompait dans leurs mains.

Vers le soir du second jour, Trangoil Lanec, laissant ses compagnons établir leur campement sur le penchant d’une riante colline, à l’entrée d’une grotte naturelle, comme on en rencontre souvent dans ces régions, enfonça les éperons dans le ventre de son cheval et ne tarda pas à disparaître. Il se dirigeait vers le lieu où les Serpents Noirs devaient s’être arrêtés pour la nuit, lieu dénoncé aux yeux clairvoyants de l’Indien par un mince filet de fumée blanche qui montait comme une légère vapeur vers le ciel où elle finissait par se confondre.

Arrivé à une certaine distance du camp, le chef vit tout à coup surgir devant lui deux Indiens Serpents Noirs, recouverts de leur costume de guerre, espèce de vêtement de cuir non tanné que les Aucas portent pour se garantir des blessures d’armes blanches.

Ces Indiens lui firent signe d’arrêter.

Ce que le chef exécuta immédiatement avec la perfection d’un ginète émérite.

— Où va mon frère ? demanda l’un des Serpents Noirs en s’avançant, tandis que l’autre, abrité derrière un mélèze, se tenait prêt à intervenir si cela devenait nécessaire.

Marry-marry ! répondit le chef en rejetant sur l’épaule son fusil qu’il tenait de la main gauche, Trangoil Lanec a reconnu la trace de ses frères les Serpents Noirs, il veut fumer à leur foyer avant de continuer son voyage.

— Que mon frère me suive, répondit laconiquement l’Indien.

Il fit un signe imperceptible à son compagnon qui quitta son embuscade, et tous deux guidèrent le chef vers le campement.

Trangoil Lanec les suivit en jetant autour de lui un regard insouciant en apparence, mais auquel rien n’échappait.

En quelques minutes ils arrivèrent.

La place était habilement choisie. C’était le sommet d’un monticule d’où