Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/50

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— Rien ! c’est vrai, fit Louis en riant.

— Alors, nous avons, comme tu le vois, le temps de causer.

— Causer ! mais, frère, nous ne faisons que cela depuis ce matin !

— Je ne suis pas de ton avis. Nous avons beaucoup parlé, de toutes espèces de choses, du pays dans lequel nous sommes, des mœurs de ses habitants, que sais-je encore ? mais nous n’avons pas causé de la façon que je l’entends.

— Explique-toi mieux.

— Vois-tu, frère, il m’est venu une idée. Nous ne savons pas quelles aventures nous attendent dans cette ville qui est là, devant nous ; eh bien ! avant d’y entrer, je désirerais avoir avec toi une dernière conversation.

Les jeunes gens ôtèrent la bride à leurs chevaux, afin qu’ils pussent paître les quelques touffes d’herbes qui poussaient çà et là à l’aventure.

Ils s’étendirent à terre et allumèrent chacun un cigare.

— Nous sommes en Amérique, reprit Valentin, dans le pays de l’or, sur ce sol, où, avec de l’intelligence et du courage, un homme de notre âge peut en quelques années amasser une fortune princière !

— Tu sais, mon ami ?… interrompit Louis.

— Parfaitement ! dit Valentin en lui coupant la parole. Tu es amoureux, tu cherches celle que tu aimes, c’est convenu ; mais cela ne nuit en rien à nos projets… au contraire !

— Comment cela ?

— Pardieu ! c’est tout simple : tu comprends bien, n’est-ce pas, que dona Rosario… c’est ainsi qu’elle se nomme, je crois ?

— Oui.

— Très bien ! tu comprends, dis-je, qu’elle est riche ?

— C’est hors de doute.

— Oui. Mais entendons-nous bien, non pas riche comme on l’est chez nous, c’est-à-dire à la tête de quelque cinquante mille livres de rente… une misère !… Mais riche comme on l’est ici… dix ou vingt fois millionnaire !

— C’est probable ! fit le jeune homme avec impatience.

— À merveille ! tu comprends aussi que, lorsque nous l’aurons retrouvée, car nous la retrouverons, c’est indubitable, et cela bientôt, tu ne pourras demander sa main qu’en justifiant d’une fortune au moins égale à la sienne ?

— Diable ! je n’avais pas songé à cela ! s’écria le jeune homme.

— Je le sais bien. Tu es amoureux, et, comme tous les hommes atteints de cette maladie, tu ne penses qu’à celle que tu aimes, mais heureusement, moi, je vois clair pour deux. Voilà pourquoi, chaque fois que tu m’as parlé amour, je t’ai répondu fortune.

— C’est juste. Mais comment faire promptement fortune ?

— Ah ! ah ! tu y arrives donc enfin ! dit Valentin en riant.

— Je ne connais aucun métier… continua Louis tout à son idée.

— Ni moi non plus. Mais que cela ne t’effraie pas ; on ne réussit bien que dans les choses que l’on ignore.

— Comment faire ?

— J’y songerai, sois tranquille ; seulement il faut que tu te persuades bien une chose, c’est que nous avons mis le pied sur une terre où les idées sont